LES STRUCTURES MÉTALLO-TEXTILES

Comment tisser une toile d’idées

Qu’elle soit mise en œuvre en toiture ou en façade, la toile tendue peut habiller n’importe quel type de bâtiment, de taille, fonction et forme diverses, en neuf ou en réhabilitation. Férus de ces structures métallo-textiles ludiques, les architectes peuvent créer à l’infini
des enveloppes partielles ou intégrales innovantes ou des bardages de façades atypiques, offrant des morphologies, des textures et des couleurs très variées. Or cette liberté conceptuelle requiert l’utilisation de fines ossatures en acier servant de support aux toiles, assorties d’un accastillage adapté.

Stade olympique, Munich, Allemagne ; Frei Otto architecte. Classé Monument historique en 1997, cet équipement sportif innovant et aérien est surmonté d’une immense couverture translucide de 74 800 m2, tendue et arrimée à des mâts en métal. DR

S’inspirant des toiles d’araignées tissées, solides et flexibles, les structures tendues existent depuis fort longtemps, sous la forme de tentes de bédouins, de tipis des Indiens ou de yourtes mongoles, des types d’habitats nomades ancestraux, faciles à monter et à démonter pour les transporter dans d’autres contrées, au gré des saisons. Au 19e siècle et au début du 20e siècle, la toile apparaît dans des moyens de transport, tels que la montgolfière et le zeppelin, alors que les chapiteaux de cirque fleurissent un peu partout. Dans les années 1970 – période des Trente Glorieuses propice à des recherches conceptuelles et formelles –, les structures métallo-textiles prennent véritablement leur essor. Précurseur en la matière, l’ingénieur et architecte allemand Frei Otto théorise les préceptes des membranes tendues et suspendues se rapportant à l’architecture bionique inhérente aux formes naturelles et biologiques des sciences du vivant. Sa réalisation majeure, devenue une icône architecturale, demeure le stade olympique de Munich, bâti entre 1968 et 1972 pour accueillir les Jeux olympiques d’été de cette même année. Classé Monument historique en 1997, cet équipement sportif innovant et aérien, surmonté d’une immense couverture translucide et tendue de 74 800 m2, a été réhabilité en 2009 par l’ajout, en sous-face de la résille métallique existante, d’une épaisse toile résistante et protectrice. L’architecte réalisera par la suite d’autres projets de grande ampleur, à partir de systèmes métallo-textiles similaires.

Stade national de patinage de vitesse, Pékin, Chine ; Zheng Fang/BIAD, architecte. Bâtie pour les Jeux olympiques d’hiver de 2022, cette arène est coiffée d’une membrane tendue à haute performance acoustique, en forme d’ellipse gigantesque. Photo : S. Ferrari-Zheng Fang-Biad

De multiples atouts

Les diverses sortes de toiles tendues proposées par les fabricants recèlent de multiples atouts : grande légèreté et résistance, durabilité, économie de matière et facilité d’entretien. Si elles sont capables de s’associer à des ossatures en acier, en aluminium ou en bois, en fonction de chaque sorte d’ouvrage, elles sont aptes à un démontage ultérieur, flexibilité oblige. Elles offrent en outre une protection efficace contre les intempéries et les rayons solaires ainsi qu’une pénétration optimale de la lumière naturelle au sein des espaces internes, génératrice d’économies d’énergie substantielles. Elles peuvent également jouer un rôle d’absorption acoustique, essentiel dans de vastes volumes sportifs tels que les stades, où les effets de réverbération des bruits ambiants doivent être minimisés pour assurer un certain confort acoustique. C’est le cas du stade national de patinage de vitesse édifié à Pékin, en Chine, pour les Jeux olympiques d’hiver de 2022, par l’architecte Zheng Fang/BIAD. Il est coiffé d’une membrane à haute performance acoustique (SK20/Serge Ferrari), supportée en plafond par un réseau de câbles dessinant une structure de toit légère et durable, en forme d’ellipse convexe (124 × 198 m) de 22 000 m2. Un autre avantage concerne l’évolutivité et la réversibilité des édifices dans le temps, où la structure entoilée qui chapeaute des espaces non figés peut être transformée à tout moment. Il en est ainsi du gigantesque Dôme du Millénaire, érigé à Londres, en Grande-Bretagne, en 1999, par l’architecte Richard Rogers, pour célébrer le nouveau millénaire et reconverti en 2007 en un complexe de loisirs et de spectacles baptisé O2 Arena. Sa structure hors norme, tenue par un réseau de câbles suspendus autour de douze mâts de 100 m de hauteur, est revêtue d’une toile blanche durable en fibre de verre enduite de PTFE de 100 000 m2.

Dôme du Millénaire, Londres, Grande-Bretagne ; Richard Rogers, architecte. La structure en acier de ce dôme est tenue par des câbles suspendus autour de 12 mâts de 100 m de hauteur, et revêtue d’une toile blanche en fibre de verre enduite de PTFE. DR
Centre Pompidou, Metz ; Shigeru Ban, Jean de Gastines et Philip Gumuchdjian, architectes. Le musée est coiffé d’une toiture courbe, formée d’une membrane en toile de fibre de verre recouverte de Teflon et suspendue à un pylône d’acier. DR
Complexe de la République, Pau ; Ameller, Dubois & associés, architectes. Le toit et les façades des halles sont parés d’une membrane en ETFE, composée de panneaux pré-tendus avec des câbles incorporés, et fixés sur une structure de support en acier. Photo : Jean-François Tremege

Membranes et matières : des choix avisés

Les fabricants et fournisseurs de toiles proposent divers types de membranes composites tendues qui, adaptées à chaque morphologie d’édifice, se présentent sous la forme d’une peau ou d’une façade de bâtiment. Depuis les années 1950, la membrane en tissu de fibres de verre à enduction polytétrafluoéthylène (PTFE) de coloris blanc, qui offre une haute résistance mécanique et une durabilité de 25 à 30 ans, est adaptée pour des portées moyennes, mais reste assez fragile. Ce matériau a été utilisé pour réaliser notamment la toiture courbe en forme de chapeau du centre Pompidou de Metz, conçu en 2010 par les architectes Shigeru Ban, Jean de Gastines et Philip Gumuchdjian. La charpente en bois est arrimée à un pylône d’acier, auquel est suspendue la toile en fibre de verre recouverte de Teflon. Dans les années 1970, le tissu polyester à enduction PVC, d’une durée de vie de 15 à 20 ans, approprié pour d’amples portées et offrant plusieurs teintes, reste le plus employé dans de nombreux domaines, comme les sports et les loisirs (couverture de stade ou de court de tennis), les aménagements industriels et commerciaux… Autre matériau emblématique des années 2000, l’ETFE (éthylène tétrafluoroéthylène) connaît un réel engouement de la part des architectes et ingénieurs, pour ses vertus de finesse, de légèreté et de transparence, et son adaptabilité à de petites portées. Ce film léger, durable, autonettoyant, recyclable et imprimable (en divers coloris et motifs) permet d’imaginer une multitude d’enveloppes, de verrières et de façades translucides, au moyen d’une pose rationnelle et aisée en simple couche, par lés et par tension. Pour le complexe de la République à Pau (64), rénové entre 2019 et 2021 par l’atelier Ameller, Dubois & Associés, le toit et les façades des halles sont parés d’une membrane simple peau blanche en ETFE, constituée de panneaux pré-tendus de façon mécanique, avec des câbles incorporés, fixés sur une structure de support en acier. Ce matériau performant peut également envelopper l’intégralité d’un édifice. Conçu en 2013 par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, le stade Allianz Riviera de Nice est emballé d’une membrane en ETFE, dont les 240 modules tendus sur des profils métalliques sont fixés à la charpente tridimensionnelle mixte en acier et en bois. Ces exemples sont la preuve d’une association réussie entre le textile et le métal, qui sont à la fois indissociables et complémentaires.

Gare de péage de Cabariot et Tonnay-Charente ; Arteo Architectures. Portée par des câbles fixés aux mâts, la structure en acier à double courbure de cette gare de péage, en forme de coque de bateau, supporte des pièces de membrane polyester PVC bleue. Photo : Arteo Architectures

Des formes architecturales à l’infini…

Que ce soit en construction neuve ou en rénovation de bâtiments, la mise en œuvre de toiles tendues sur des ossatures en acier s’est tellement développée que bon nombre d’architectes se sont emparés de ce matériau attrayant pour imaginer une infinité de formes, aussi bien en enveloppes d’ouvrages qu’en habillage partiel ou total de façades, ou en couverture. Cette liberté conceptuelle, autre atout majeur, concerne tous les types d’édifices, de taille réduite ou d’envergure, provisoires ou permanents : salles de sports ou de spectacles, entrepôts, péages d’autoroutes, préaux d’écoles, auvents, structures évènementielles, abris pour vélos ou voitures… L’emballage intégral d’un édifice avec une membrane permet de le protéger, tout en le marquant fortement dans le paysage. Les salles de spectacles Zénith, comme le Zénith de Paris, premier de la liste, bâti en 1984 par l’agence Chaix & Morel, est enserré d’une toile tendue et argentée. De même, les Zénith de Strasbourg et d’Amiens, conçus en 2008 par l’architecte Massimiliano Fuksas, sont ceints de peaux de couleur. Ainsi, le Zénith Europe de Strasbourg, de forme elliptique (100 x 140 m), est cerné de pans de toile en fibre de verre enduite de silicone orange, de 440 m de longueur et 12 000 m2 de surface, fixés sur une charpente en acier. Une architecture marquante et identifiable ! La couverture peut également prendre des formes symboliques, comme l’aéroport international de Denver, au Colorado, dans l’ouest des États-Unis, érigé en 1995 par l’architecte Perez. Sa toiture singulière fait surgir une forêt de chapeaux pointus revêtus de toile blanche tendue qui rappellent des tipis indiens et les montagnes Rocheuses alentour. À autre fonction, autre morphologie : la gare de péage de Cabariot et Tonnay-Charente, sur l’A837, construite en 1997 par Arteo Architectures, se développe sur 156 m de longueur et 31 m de largeur. Elle comporte « une structure métallique en forme de coque de bateau supportée par quatre mâts métalliques de 35 m de hauteur. » Portée par des câbles de haubanage fixés aux mâts, la structure à double courbure de cet auvent allie des modules arrondis à une façade en éléments de membrane polyester PVC de teinte bleue, symbolisant l’océan. Cette symbiose intense entre l’acier et le textile enrichit considérablement les ouvrages et les sublime. Quant à la notion intemporelle d’abri, le musée maritime de La Rochelle, restructuré en 2014 par l’atelier Construire, fait figure de projet ludique. Si la halle à marée rénovée loge un restaurant, des bureaux et une aire de réception, la « galerie des pavillons » a été bâtie à partir d’une succession de grands parapluies en structure métallo-textile de teintes primaires qui coiffent divers volumes à ossature bois, destinés à des espaces d’accueil, d’exposition, etc. Installé sur le port charentais, ce dispositif entoilé fait directement écho aux bateaux omniprésents…

La grande mosquée de Paris, Paris 5e ; Dubois Jeanneau, architectes. Pour abriter les fidèles, le patio central est équipé d’un toit amovible composé de tissu de polyester enduit de PVC et verni, fixé sur des arcs en métal glissant sur des rails. Photo : Normandie Structures

Protection solaire et toits rétractables

Les brise-soleil en membranes tenues par de fins profils d’acier et posés en façade vitrée ou en toiture d’édifices permettent de tamiser et de réguler l’apport de lumière et de soleil. Pour une protection solaire optimale adaptée aux saisons, installer des toits rétractables en membranes est à la fois innovant, performant et esthétique, grâce aux ingénieux mécanismes en acier et aux toiles mis en place, afin de couvrir patios, tribunes de stades, piscines… Chaque couverture amovible peut être actionnée mécaniquement et à la demande, en cas de pluie, de neige ou de soleil ardent. En 2013, le patio central de la grande mosquée de Paris s’est doté d’un toit amovible sophistiqué (20 × 29 m) pour abriter les fidèles. Conçu par l’agence Dubois Jeanneau, il se compose de tissu de polyester enduit de PVC et verni, fixé sur des arcs en métal qui, glissant sur des rails, se replient de chaque côté en 20 minutes : une prouesse technique au sein de ce bâtiment emblématique classé Monument historique en 1986. Dans le même ordre d’idée, le stade national de Varsovie, en Pologne, bâti en 2011 par l’agence JSK Architecki pour l’Euro 2012, est entouré d’une charpente en tubes d’acier qui se retourne en toit en une résille, sur laquelle se greffe une membrane composite (précontraint/Serge Ferrari) rétractable, via un accastillage en métal. Une fois de plus, la charpente en acier optimisée joue un rôle primordial de soutien de ces toiles robustes. Une configuration différente pour la piscine olympique découvrable Georges-Hermant à Paris qui, datant des années 1970, a été entièrement rénovée en 2013 par les agences Saunier & associés et Arcos Architecture. Outre la réfection des espaces internes, un nouveau mât central en métal sert de point d’accroche à la toile blanche d’origine qui, tenue par des câbles fixés au sol, peut se relever en été ou se déployer en cas d’intempéries. Suivant le rythme des saisons, ce système découvrable et durable est caractéristique de l’époque de construction, apte à des inventions.

STADE OCÉANE, LE HAVRE UN PHARE BLEUTÉ DANS LE CIEL NORMANDÀ l’entrée de la ville du Havre, le stade Océane a été réalisé en 2012 sur un ancien site ferroviaire et industriel par le groupement-réalisation Vinci Construction France/Scau architectes/KSS/Iosis pour le compte de la Communauté de l’agglomération havraise. D’une capacité de 25 000 places, l’équipement sportif de 20 000 m2 sur cinq niveaux repose sur un socle logeant des vestiaires et un parking, le rez-de-chaussée étant ponctué de plots abritant des buvettes, des vomitoires et des sanitaires. Depuis 2018, ce stade polyvalent accueille le 1872 Stadium Hotel de 20 chambres qui, offrant une vue plongeante sur la pelouse, s’installent dans les loges VIP lors des jours sans match, une première en France. Également destiné à des évènements culturels et festifs (concerts, séminaires…), il est assorti d’un restaurant, d’une boutique, de salles de séminaires et de réception ainsi que d’espaces de détente et de fitness. Sur le plan structurel, les tribunes et les gradins ont été bâtis en majorité en portiques de béton précontraint qui reprennent les efforts de la charpente en acier – assemblage de fléaux et poutres-treillis – en y prenant appui. Cette charpente galbée est enrobée d’une membrane (32 300 m2) en ETFE sérigraphiée et teintée dans la masse, selon un dégradé de quatre tons de bleu, lequel fait écho aux couleurs du club HAC et à la mer proche. Cette peau se compose de lés
(1 × 24 m) greffés sur la charpente à l’aide de câbles disposés sur des écarteurs, tous les 75 cm, leur garantissant une tension constante. Développement durable oblige, l’enceinte est équipée de 15 000 m2 de panneaux photo­voltaïques, producteurs d’électricité. Cet édifice est devenu
un repère visuel essentiel de l’agglomération.

Photos : Luc Boegly

MUSÉE DU PONT-DU-GARD DISCRÈTE INSERTION PAYSAGÈRE

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1985, le pont du Gard, ce célèbre aqueduc romain qui, bâti à Vers-Pont-du-Gard dans la première moitié du Ier siècle, attire plus d’un million de visiteurs par an. Ce site exceptionnel a fait l’objet d’un projet de réaménagement sensible confié à l’architecte Jean-Paul Viguier, dont le triple objectif visait « à protéger et régénérer le paysage naturel, étendre le champ de visite pour couvrir un territoire de 180 ha, et expliquer et transmettre le sens de cette œuvre patrimoniale ». Il s’agit de remettre dans son état naturel le lieu, de réa­liser un aménagement paysager et piétonnier, et de construire deux entités abritant l’accueil et un complexe muséographique, qui ont été réalisés en béton blanc, en 1996. Le centre d’information, implanté sur la rive droite (moins usitée), avec un accès confidentiel depuis Remoulins et un parking de 400 places, se glisse dans une ancienne carrière, les deux bandeaux superposés s’adossant au rocher. Quant au musée archéologique, érigé sur la rive gauche du Gardon, à l’entrée du site, il « se présente comme une pierre parallélépipédique posée sur le site et encastrée dans l’épaisseur de la colline », souligne l’architecte. Son volume de 120 m de longueur, à la fois simple et imposant, est traversé par une rue qui, pourvue d’espaces d’exposition d’un côté et de commerces de l’autre, se love sous une structure d’acier protectrice dotée de poutres échelles dessinant des travées tendues de toile écrue, suggérant des voiles de bateau. Ce passage couvert et ventilé naturellement permet de liaisonner, en partie, le parking créé (900 places) au monument accessible à pied.

Photos : Pierre Bourdis et Xavier Testelin

LA SIRÈNE, LA ROCHELLE ET VOGUE LA BALISE GÉANTE BICOLORE !

Dans le port autonome de La Rochelle, un ancien hangar aux douanes a été reconverti en 2011 en espace de musiques actuelles nommé La Sirène, par l’atelier Construire, des archi­tectes associés Patrick Bouchain et Loïc Julienne, et Chloé Bodart. Cette agence est très impliquée dans des projets de réhabilitation ou de construction qui font appel à une démarche collaborative inédite, engagée par elle, avec les habitants et les entreprises. Son domaine de prédilection reste les arts du cirque, avec la réalisation d’édifices en forme de chapiteaux, tels que le théâtre Zingaro à Aubervilliers (1984) ou l’Académie Fratellini à Saint-Denis (2003). Pour
La Sirène, le bâtiment existant en béton et acier a été surélevé d’un étage, à l’aide d’une charpente métallique comportant sept fermes treillis en arcs. Sur cette coiffe a été fixée et tendue une toile (Précontraint de Serge Ferrari) bicolore jaune et bleue (2 300 m2) qui descend sur la façade arrière et est maintenue par sept potelets rouges. L’édifice de trois niveaux comporte un rez-de-port (cave) réservé à la logistique, avec des studios de répétition, des locaux techniques, une régie et un foyer. Si l’étage réunit un club de 740 places, des bureaux, un foyer, deux bars et des loges, le dernier niveau – lieu d’accueil du public – abrite la salle de concert de 1 200 places et des loges, et se connecte au deck général par une passerelle. Du côté du bassin à flot, ces plateaux bénéficient de balcons généreux qui servent d’espaces de respiration, d’échange et de lounge. À l’instar d’une balise marine colorée, bien ancrée dans le port, cet équipement à vocation culturelle et festive signale de loin sa présence.

Photo : Frédéric Le Lan/CDA
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