L’ACIER FACE AUX DÉFIS DU LOGEMENT COLLECTIF

Le siècle dernier a été profondément marqué par la période de reconstruction des Trente Glorieuses : entre 1955 et 1970, près de 4 millions de logements collectifs ont été bâtis sous l’impulsion colbertienne de l’État. Le siècle en cours, marqué par l’urgence des enjeux environnementaux, connaîtra-t-il lui aussi un nouveau cycle de construction ?

Les derniers chiffres du ministère de la Cohé­sion des territoires confirment la tendance régressive de la production de logements en France. Tous les indicateurs sont à la baisse, le nombre de logements réservés au troisième trimestre 2018 est en repli de 8,9 % par rapport au troisième trimestre 2017, et les mises en vente tracent une même trajectoire descendante en s’établissant à 22 100 unités entre juillet et septembre.
À l’instar des réservations, ce recul est particulièrement marqué sur le marché des maisons individuelles, avec une offre en baisse de 29,9 % sur un an, contre 12,8 % sur les appartements.
À cette situation préoccupante répond aujourd’hui l’ambitieuse loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi Elan (voir encadré p. 29), dont l’objectif principal est de redynamiser la construction de logements. Une évolution nécessaire Mais l’habitat en France doit dans le même temps évoluer, se transformer, s’adapter aux nouvelles exigences environnementales dont l’urgence est aujourd’hui démontrée. Afin d’anticiper les futures évolutions de la Réglementation thermique (RT) 2012, un nouveau label a été créé : E + C - (bâtiment à énergie positive et réduction carbone). Sa principale caractéristique est de ne plus se limiter à la mesure de la performance énergétique des constructions, mais de prendre en compte leurs « performances environnementales » également. Cette nouveauté repose sur une analyse du cycle de vie qui portera sur un calcul des émissions de gaz à effet de serre ; d’une part, sur la totalité du bâtiment, d’autre part, sur l’ensemble des produits de construction et des équipements de ce bâtiment. Sur une durée de 50 ans, la partie construction représente environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Le système constructif du bâtiment impacte donc fortement le bilan carbone et pousse à l’utilisation de bioressources ou à l’emploi de matières recyclables et réemployables comme le métal.
Aujourd’hui, l’immense majorité des logements collectifs en France est issue de la filière béton, et la part de l’acier reste faible sur ce marché. Face aux qualités environnementales, structurelles et plastiques du métal, à son emploi beaucoup plus développé chez certains de nos voisins européens, cette situation interroge…

L’immeuble Gambetta,
contemporain et parfaitement intégré

Trophée Eiffel 2018, catégorie Habiter, l’immeuble Gambetta réalisé par l’agence Philippe Dubus Architectes est remarquable à plus d’un titre. Au cœur du centre-ville historique de Nantes, en allant de la place Maréchal-Foch vers le Musée d’arts puis le jardin des Plantes, on peut découvrir, rue Gambetta, cet immeuble contemporain et parfaitement intégré, dans la continuité d’un bâtiment historique. Le programme regroupe 56 logements sociaux, une crèche, un centre de réinsertion sociale et des locaux d’activité (administration du Musée d’arts, de l’association gestionnaire de la résidence et de la crèche, du Secours catholique). Son implantation très urbaine donne toute sa valeur au cœur d’îlot boisé précieusement conservé. Le projet tire parti de cette double situation pour multiplier les vues sur l’espace vert intérieur et les bâtiments anciens remarquables. L’écriture contemporaine de ce projet est assumée : les bâtiments sont isolés par l’extérieur, les façades sont parées d’un bardage en tôles d’acier, bandeaux et panneaux laqués, qui assurent leur pérennité. Façades entre lesquelles se glissent claustras, persiennes et panneaux en tôle d’inox miroir, plissés façon rideaux. Chaque élément est réglé sur une trame d’1 m de largeur et de 2,20 m de hauteur, calé entre les bandeaux horizontaux qui assurent le C + D réglementaire. L’ensemble forme une succession de « voilages » qui accrochent la lumière. Un dispositif qui garantit également les performances environnementales et thermiques du bâtiment, permettant à chacun de contrôler la luminosité et de filtrer les vues, pour préserver confort et intimité.

Maîtrise d’ouvrage : Nantes Habitat
Architecte : Philippe Dubus
Bureau d’études : Sibat
Constructeur métallique : Raimond

Trophée Eiffel 2018, catégorie Habiter, l’immeuble Gambetta de l’agence Philippe Dubus Architectes. ©Sergio Grazia

LE PARADOXE HAUSMANNIEN

En France, l’habitat collectif semble historiquement rattaché au béton, en raison notamment des programmes lancés durant les Trente Glorieuses et de la colonisation du territoire par des milliers de grands ensembles, mais cette association n’a pas toujours été
de mise. De 1880 à 1910, période de l’essor de l’acier dans la construction, le déploiement des nouveaux quartiers rénovés dans les principales villes françaises s’est appuyé sur des bâtiments à ossature métallique.
Et si les façades en pierres de taille des immeubles haussmanniens viennent masquer des charpentes en acier riveté, ce faux-semblant a durablement marqué les esprits et la culture de notre pays, pour qui la « pierre » est synonyme d’investissement pérenne. Il faudra ensuite attendre les années 1960 pour voir à nouveau émerger des projets de logements collectifs à structure acier. L’ambition de ce grand mouvement, dont les figures sont Jean Prouvé, Eugène Beaudoin et Marcel Lods, est d’adapter les process industriels à la construction, notamment via la préfabrication d’éléments. Initiées essentiellement sous forme d’appels à projets, ces opérations sont restées expérimentales, et si leurs qualités architecturales sont aujourd’hui reconnues par les professionnels, elles n’ont pas encore acquis le statut de patrimoine pour le grand public.

CHANGEMENT DE PARADIGME

À cette histoire spécifiquement française, à cet attachement à la culture de la pierre, viennent aujourd’hui s’opposer nombre d’arguments en faveur d’un changement de paradigme, le premier étant d’ordre environnemental.
La recyclabilité quasiment infinie du métal constitue une de ses premières qualités ; elle induit une réduction des déchets produits, une gestion raisonnée des matières premières et des économies d’énergie. Les bâtiments à ossature métallique sont parmi les plus à même de répondre aux nouvelles éthiques environnementales comme le C2C (Cradle to Cradle ; en français : du berceau au berceau), une philosophie de la production industrielle dont le principe est le zéro-pollution et une réutilisation à 100 % des matériaux. Mais indirectement aussi, la mise en œuvre de structures légères fabriquées en atelier impacte positivement l’environnement en réduisant le volume des fondations et en limitant les nuisances engendrées lors de la phase chantier.
Une autre grande qualité du métal dans la construction tient à son écriture structurelle poteau-poutre. Elle est économe en espace, offre aux architectes une grande liberté de composition des logements et permet d’envisager une modularité simplifiée du bâtiment dans le temps. L’évolution du parc de logements représente en effet un enjeu majeur dans les années à venir avec la gestion des parcours résidentiels, l’augmentation de la mobilité et le fractionnement des ménages. Cette problématique d’adaptabilité des bâtiments se retrouve intégrée à la loi Elan sous deux volets : les logements doivent être « évolutifs » (de simples travaux leur permettant d’être accessibles aux personnes à mobilité réduite), et la transformation des bureaux en logements est facilitée par différentes dispositions réglementaires.
Aujourd’hui, les immeubles de logements à ossature métallique satisfont parfaitement aux exigences actuelles en termes de consommation énergétique, d’isolation acoustique et de sécurité incendie. Et au-delà de ces attendus réglementaires, ils constituent une solution durable aux grands enjeux environnementaux et sociétaux.
Gageons que la construction métallique, forte de ces atouts, participera pleinement aux prochaines révolutions espérées dans le logement pour répondre aux défis de demain.

Loi Elan : dynamiser la construction ,

Le texte officiel et définitif de la loi Elan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) a été publié au Journal officiel du 24 novembre 2018. Il comprend 234 articles structurés autour de quatre grands titres.

Le premier titre d’Elan est « Construire plus, mieux et moins cher ». Qui n’acquiescerait pas à une telle ambition ? L’objectif affiché est de « libérer les procédures et faciliter les projets de construction », notamment au sein des grandes opérations d’urbanisme régies par des projets partenariats d’aménagement. Autre mesure phare : la définition d’un nouveau seuil minimal de 20 % de logements accessibles aux personnes handicapées dans tout programme neuf collectif, les autres devant être évolutifs. Simplification des procédures de construction, lutte contre les recours abusifs, accélération des transformations de bureaux en logements, ce premier titre concentre une série de mesures dont l’ambition est d’augmenter les constructions de logements. Les titres deux et trois de la loi Elan concernent le logement social. Une réorganisation du tissu HLM est ainsi engagée visant à établir un seuil minimal de 12 000 logements en gestion par office, avec pour contre-partie une diversification possible des activités des bailleurs sociaux. Mais une disposition particulière de cette réforme a mobilisé fortement les architectes : la suppression de l’obligation d’organiser un concours d’architecture pour les organismes d’HLM, les sociétés d’économie mixte (SEM) de construction et de gestion de logements sociaux, ainsi que pour les centres régionaux d’œuvres universitaires et scolaires. Le rôle des Architectes des Bâtiments de France est également diminué pour les projets se rapportant à la résorption du bâti insalubre et pour l’installation de pylônes de téléphonie mobile (antennes relais). Enfin, le quatrième et dernier titre instaure, entre autres, les opérations de revitalisation des territoires, outils de mise en œuvre du programme national Action Cœur de Ville.

©ADE Architectes
©ADE Architectes
©ADE Architectes

Maîtrise d’ouvrage :Immobilière 3F
Maîtrise d’œuvre : ADE Architectes, David Elalouf & Guillaume Prognon
BET structure métallique : Briand
BET fluides : RCA
Entreprise générale : Briand Construction Métallique

©Michel Denancé

Sécurité du bâti et créativité : des logements en structure acier

Sur le site du Val Joli, à Eaubonne (95), l’Immobilière 3F a souhaité expérimenter la filière sèche en confiant à un groupement architecte-entreprise générale la réalisation d’une opération de 44 logements. Si les opérations en conception-construction sont courantes aujourd’hui, il est peu fréquent qu’elles reposent sur un constructeur métallique maîtrisant tous les corps d’état du chantier ! Le projet issu de l’association de l’architecte David Elalouf (Atelier David Elalouf, ADE Architectes) et de Briand Construction Métallique (Groupe Briand) est exemplaire des qualités de l’acier dans le domaine de l’habitat collectif.
« Le projet d’Eaubonne a été réalisé dans le même état d’esprit que nos autres projets, mais la grande différence réside dans le fait de travailler en conception-construction, c’est-à-dire de commencer à imaginer les détails avec l’entreprise dès l’amont, souligne David Elalouf. Cette expérience a été remarquable, et nous avons beaucoup appris au contact de Briand. » Au programme initial prévoyant un seul bâtiment en baïonnette venant couper  le site, l’architecte a répondu par trois petits immeubles collectifs qui ménagent une perspective sur le château mitoyen.

La structure à poteau-poutre de ces constructions a dégagé de grands plateaux libres qui offrent souplesse et flexibilité dans la répartition des logements. Les cloisons intérieures, légères et acoustiques, facilitent les possibilités de modifications ultérieures des appartements. Les façades sont composées de panneaux préfabriqués à ossature bois intégrant l’isolation, l’étanchéité et les châssis vitrés. Cette enveloppe, outre ses performances énergétiques, peut accepter toutes sortes de parements au gré du contexte et des choix de l’architecte.

67 logements de standing en surélévation

S’il est de coutume, en France, d’assimiler l’acier aux constructions industrielles et le béton aux immeubles de logements, une opération contredit cette tradition : Les Dock’s à Strasbourg. Situé sur la presqu’île André-Malraux, ce projet atypique combine la réhabilitation d’un ancien entrepôt portuaire, édifice en béton datant de 1932, et la création de trois niveaux de logements installés dans une superstructure métallique de 800 tonnes posée sur son toit !
Commerces, lieux de travail et d’enseignement prennent place dans le bâtiment conservé, tandis que l’extension accueille 67 appartements de standing. Georges Heintz, maître d’œuvre de cette opération, a clairement joué l’opposition entre la massivité de l’architecture originelle, ossature béton aux remplissages de briques, et une surélévation à l’écriture très épurée, un simple volume orthogonal de verre et d’acier qui semble flotter au-dessus de l’ancien édifice.
L’utilisation du métal s’est imposée presque naturellement. « Légèreté de la superstructure reportée sur l’existant, simplicité et plasticité de la mise en œuvre, comportement sismique face aux risques locaux, rapidité d’exécution, parfaite adaptabilité au cumul des contraintes engendré par la mixité programmatique et esthétique sont autant de raisons ayant dicté cette solution », résume ainsi Georges Heintz.
Cet ouvrage a été lauréat des Trophées Eiffel 2015 dans la catégorie Habiter, et Prix AMO 2018 de la plus belle métamorphose.

Maîtrise d’ouvrage : Icade Promotion
Architectes : Georges Heintz et Anne-Sophie Kehr, architectes associés, Pascal Philibert, chef de projet
BET structure : CTE
BET fluides : NEC
Entreprise générale : KS Construction
Charpente métallique et escaliers extérieurs : BCM
Bardage et couverture : ArcelorMittal, KD

©DR
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©Takuji Shimmura
©Takuji Shimmura
©Takuji Shimmura
©Takuji Shimmura

EQUATORIA
Maîtrise d’ouvrage : Aiguillon Construction ; Bâti Armor
Maîtrise d’œuvre : Christophe Rousselle, architecte ; Cristina Brezae, chef de projet
Économiste : Cabinet Lemonnier
Entreprise de pose : Quemard
BET structure : Ouest Structures
BET fluides et thermique : Enercia
Surface : 5 300 m2
Nombre de logements : 80
Vêture métallique : profils ondulés pleins ou perforés Joris Ide (JI 18-076-988) en acier galvanisé, teinte Gold
Surface : 5 000 m2

LE STEPHANOS
Maîtrise d’ouvrage : Atlantique Habitations ; GHT
Maîtrise d’œuvre : Christophe Rousselle, architecte ; Joan Kingwell, chef de projet
Entreprise de pose : Axima
BET structure : IBA
BET fluides et thermique : Albedo
Surface : 3 336 m2
Nombre de logements : 53
Vêture métallique : profils pleins ou perforés Joris Ide (JI Breva 27) en Inox
Surface : 2 000 m2

©Takuji Shimmura

Jeux de strates

Cent kilomètres séparent deux immeubles de logements collectifs conçus par l’architecte Christophe Rousselle : Equatoria à Rennes et Le Stephanos à Nantes.
Une même écriture unit cependant ces deux projets, un contraste revendiqué de vêtures métalliques (Joris Ide) en façade donnant à ces édifices l’aspect d’un empilement de poutres géantes qui émergent ponctuellement en saillies. Cette gémellité est tout d’abord une réponse à un « contexte sans contexte », selon les mots de l’architecte : « Une situation urbaine similaire pour ces deux opérations, une Zac en concours donc une absence d’informations sur les futurs immeubles mitoyens ! ».
Face à cet environnement, Christophe Rousselle prend le parti de la légèreté. Afin de réduire l’impact visuel de ces constructions, seule la lecture d’un étage sur deux est affirmée par l’utilisation de parements métalliques prégnants : l’Inox pour Le Stephanos et une teinte Gold pour Equatoria. Les niveaux intermédiaires, recouverts d’un bardage noir, s’effacent pour ne laisser percevoir que des strates de métal brillant, à l’image d’une superposition de poutres. Cet effet est renforcé par la volumétrie singulière des loggias qui prolongent en porte-à-faux l’écriture horizontale des étages.
« Ce principe de composition avec des changements d’angles donne des espaces à ciel ouvert qui permettent d’atténuer la présence du bâtiment, explique l’architecte. Nous avons réalisé un quasi-travail de sculpture sur ces deux opérations. » De l’approche conceptuelle de Christophe Rousselle sont nés deux immeubles surprenants, dont les vêtures métalliques aux opacités contrastées jouent avec les reflets du ciel et de la végétation.

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