MARIE DEROUDILHE

« On peut quasiment tout faire avec l’acier. »

Pour son restaurant étoilé, à deux pas de la place Victor-Hugo à Paris, le chef Jean-Louis Nomicos a fait appel à l’architecte Marie Deroudilhe pour revisiter l’espace à l’image de ses envies. Au menu : inspiration méditerranéenne, atmosphère chaleureuse et belles matières. Pour un sens subtil de l’équilibre.

Le système d’arches permet de garder un espace unique tout en le recompartimentant.
©Agence Marie Deroudilhe
Le système d’arches permet de garder un espace unique tout en le recompartimentant. ©Agence Marie Deroudilhe

« Pour contrebalancer la majesté des arches, Marie Deroudilhe a choisi des luminaires en verre soufflé d’aspect fragile et léger. Le sol pavé de chêne brut, le Corian ivoire des tables, le cuir des fauteuils et le vitrage de verre bullé, déformé et de teinte ambrée réchauffent l’atmosphère. Tout est réalisé sur mesure. »

Passer d’un univers inspiré du tressage à la main – des lamelles de noyer entrelacées tapissant murs et plafonds – à celui d’un volume unique rythmé par de majestueuses arches en acier auto­patinable, c’est un vrai grand écart. Pourquoi avoir choisi ce matériau ?

C’est vrai, j’ai choisi de faire table rase. Mon client, le chef Jean-Louis Nomicos, souhaitait changer complètement l’aspect du restaurant. Originaire d’Allauch, à côté de Marseille, il désirait se recentrer sur la cuisine méditerranéenne et, par là même, insuffler cet esprit à l’établissement. Ce que nous avons fait de manière un peu… conceptuelle. C’est si rare d’avoir des clients qui ont cet esprit résolument contemporain. Cela change un peu car la tendance du moment mise beaucoup sur le retour en arrière, les rideaux à franges, mélanges de tissus et motifs. Par ma formation d’architecte, je dispose certainement d’une vision particulière par rapport à un décorateur. J’ai donc cherché une matière qui, pour moi, évoquait le Sud. Avec ses teintes brunes, rouges, ocre et ses effets de matière, l’acier autopatinable s’est imposé naturellement. En tant qu’architecte, c’est un matériau qui m’a toujours parlé. Nous avons travaillé sur maquette. J’ai demandé à ma collaboratrice de poser dans l’espace du restaurant des sculptures monumentales contemporaines dont l’une rappelle d’une certaine manière L’Araignée rouge du sculpteur Alexander Calder. L’ensemble fonctionnait parfaitement. Tout est parti de là en fait. Ce système d’arches a permis de garder un espace unique tout en le recompartimentant. Le plan est libre. Nous nous sommes servis d’une arche plus importante pour marquer l’entrée.

Teintes ocre et effets de matière pour un accueil intimiste

Et pour la mise en œuvre, comment avez-vous procédé ?

Nous avions quatre semaines pour mener à bien le projet. Je travaille avec des Compa­gnons du Devoir, trois frères qui ont une ferronnerie d’art en Picardie. Des artisans exceptionnels… Ce sont eux qui ont élaboré toute la stratégie d’étude et de réalisation. Ils ont dressé des plans d’exécution absolument magnifiques sur des cotes, au départ, hypothétiques. Ils maîtrisaient parfaitement. Le premier jour, ils ont tout enlevé et relevé les cotes. La semaine suivante, ils sont venus poser les structures, du profilé rectangulaire plein. Toutes les arches sont posées comme des échelles : nous avons dû travailler au millimètre. Après le découpage des tôles, il nous a fallu deux semaines pour les faire patiner. Elles étaient suspendues comme du linge qui sèche à l’extérieur. Et puis on a attendu la pluie… qui ne venait pas. C’était très tendu. Le miracle s’est produit deux jours avant la pose : l’acier a commencé enfin à s’oxyder. La difficulté réside alors dans la fixation au vernis des teintes du matériau. Les tôles étaient scrutées et vérifiées plusieurs fois par jour jusqu’à ce que l’on obtienne les tons parfaits. Sur certaines fini­tions, d’ailleurs, on perçoit encore la trace des gouttes de pluie, comme si les arches avaient pris les intempéries en direct. C’est magnifique. Les Compagnons y ont intégré des petits spots et se sont occupés de tous les passages de câbles. Les structures, elles, sont arrivées en trois tronçons chacune. Et puis les tôles. Je ne souhaitais pas de fixations apparentes, mais nous avons quand même dû poser des petits rivets, quasiment invisibles car oxydés eux aussi.

Dans vos projets d’architecture intérieure, vous travaillez beaucoup avec l’acier. Qu’est-ce qui vous incite à l’utiliser ? Quels sont ses avantages ?

L’acier propose des possibilités infinies : il sert de structure et de finition en même temps. Moi qui aime beaucoup les courbes, les arches, ce matériau me donne toute latitude pour partir dans le volume. Je songe notamment à une coque de bateau qui serait une banque d’accueil. Avec l’acier, on ne se limite pas à la 2D. On peut le souder, le meuler, le percer, le fraiser, le texturer, le forger, le patiner. C’est un matériau hyperflexible. On peut quasiment tout faire avec l’acier : de l’habillage mural, des sols, du mobilier, des luminaires, des bibliothèques… Je travaille avec un serrurier sur pratiquement tous nos projets. La relation avec les métalliers est essentielle. Lorsque j’imagine un projet et que je leur soumets l’idée, ils vont me proposer des solutions, bien sûr, mais aussi d’autres idées de mise en œuvre, d’autres détails. C’est un échange permanent. C’est avec eux que je me suis rendu compte que c’était facile. Par découpe numérique, il est possible d’obtenir n’importe quelle épaisseur d’acier, comme des plaques de 2 cm. Il suffit de réfléchir et de trouver des applications. Je peux concevoir un plateau de table de 4 mm qui se tient parfaitement, alors que le bois m’oblige à passer sur 3 cm suivant les formats. De même pour les façades des restaurants, par exemple, les devantures en accordéon, où le travail est plus lourd : on arrive à avoir des sections beaucoup plus fines qu’avec le bois. Ça aussi, c’est un énorme avantage. Avec l’expérience, je maîtrise les propriétés du matériau et ses contraintes. Je sais que lorsque je plie une certaine épaisseur, j’obtiens un rayon d’une certaine dimension. Pour moi, travailler l’acier est non seulement facile, mais aussi peu coûteux comparé à d’autres matériaux. Nous pouvons ainsi proposer du sur-mesure à nos clients sans être obligés, pour une cuisine par exemple, de la commander sur catalogue.

Serviteur à pâtisserie « Boule » en inox et acier laqué pour le restaurant Le Burgundy à Paris. Restaurant Manger, toujours à Paris… Marie Deroudilhe travaille sur de nombreux projets en acier.

Maîtrise d’ouvrage : Jean-Louis Nomicos
Architecte : Agence Marie Deroudilhe
Métallier : Dessenne

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