DIETMAR FEICHTINGER

Un pont culturel entre la France et l’Autriche

Arrivé à Paris juste après l’obtention à Graz de son diplôme d’ingénieur architecte, en Autriche, Dietmar Feichtinger se partage désormais entre les deux capitales française et autrichienne. Si nombre d’ouvrages d’art – et non des moindres (passerelle Simone-de-Beauvoir, accès au Mont-Saint-Michel) – figurent parmi ses références, écoles, hôpital, bureaux, équipements sportifs, logements… témoignent de la diversité assumée de sa production jusqu’à la toute récente sécurisation des abords de la tour Eiffel. 

DIETMAR FEICHTINGER, ARCHITECTE AUTRICHIEN DANS SON AGENCE Ë PARIS. 25 JUILLET 2008

Comment sélectionnez-vous les projets auxquels vous souhaitez concourir ? 

En matière de présélection, il y a un aspect des plus pragmatiques. Nous regardons là où l’on a des chances d’être retenus même si c’est un peu dommage que le choix se fasse par défaut. La participation aux concours publics étant très réglementée, si nos références dans le domaine datent de plus de trois ans, nous serons exclus de la sélection. Comme tous mes confrères, nous sommes hélas confrontés à des maîtres d’ouvrage qui ne veulent s’adresser qu’à des « experts » de leur programme, ce que nous ne pouvons pas toujours prétendre être. Comme architecte, je suis convaincu que ce n’est pas l’expertise qu’il faut apporter, mais plutôt la sensibilité. Peu importe le sujet auquel on se confronte, l’important est de comprendre la question qui nous est posée, qui est fortement liée à son contexte, à son environnement tant urbain que paysager. De façon plus générale, nous n’avons pas de sujets de prédilection, ni programmes sur lesquels nous voudrions absolument travailler bien que ne les ayant jamais traités auparavant. Nous faisons un peu de tout. Nous aimons bien les « moutons à cinq pattes », ce qui est en dehors des projets standard, comme le logement. Nous cherchons également, quand le système nous le permet, à être très variés. Je crains de prendre des habitudes : si vous ne faites que des groupes scolaires, vous aurez la tentation de vous simplifier la tâche en reprenant, en déclinant vos précédentes recherches. 

Une fois sélectionné, comment appréhendez-vous les programmes et leur conception architecturale ? 

Selon moi, l’architecture est un véritable travail d’équipe. Nous sommes une trentaine à l’agence de Paris et échangeons les approches entre nous tous. Nous essayons de trouver une réponse à une question posée que nous reformulons souvent afin de proposer un projet davantage en adéquation avec le site, le contenu des besoins des personnes amenées à utiliser le bâtiment. Concrètement, nous travaillons beaucoup sur maquettes : de site, d’essais de volumétrie. Nous nous intéressons aussi à la dimension philosophique du sujet, à en déterminer le sens. Par exemple, pour un groupe scolaire, une ambition pédagogique nous accompagne et nous aide à concevoir une image d’école et un lieu plus innovant, plus ouvert, acceptable par le plus grand nombre. Côté symbole, nous entretenons vis-à-vis de l’image une attitude clairement orientée vers l’intégration de l’ouvrage à la ville plutôt que l’y faire remarquer. Nombreux sont les projets qui nécessitent de rester « calmes », sobres et sincères, pour créer une sorte de plateforme de vie permettant de pouvoir y passer du temps agréablement, que ce soit un logement, une salle de classe… 

À bien regarder tous vos projets, on constate une attention prêtée au vide assez sensible et récurrente… 

Cela résulte de notre rapport à l’espace public, à l’espace extérieur tout court que les bâtiments concourent à définir. Ces espaces non construits ont autant d’importance que ceux qui le sont. Ils « accompagnent » les constructions qui les engendrent. Ceci explique sans doute notre intérêt pour les passerelles et les ouvrages d’art dont j’appréhende le sujet également comme un parcours ; ce n’est pas une image instantanée, mais plutôt une expérience que l’on vit en les utilisant dans le mouvement, pas que statiquement. Ils sont en relation avec le vide qui les entoure, avec les regards différents, les perspectives qu’ils créent. On s’interroge sur ce que l’on y verra depuis, mais aussi à travers, sur comment on s’ouvre et/ou se protège, sur les connexions qui s’établiront de part et d’autre. D’où viendront le vent, le soleil. Mon plaisir est de trouver une réponse commune à la plupart de ces interrogations qui parfois sont contradictoires ! Toutes ces questions concernent intrinsèquement la conception du bâtiment ou de l’ouvrage. Le programme est en quelque sorte ce qu’il y a de plus simple à satisfaire. L’orientation par rapport à la topographie, au climat, à l’espace public importe tout autant que la façon dont on va y entrer et s’y orienter, dont les espaces vont s’enchaîner. Ce n’est pas une pièce unique, mais la réussite d’une composition d’éléments multiples. 

Anticiper l’usage est primordial dans votre démarche amont ? 

Lorsque vous dessinez une chaise, votre objectif premier est qu’il soit agréable de s’y asseoir, puis de faire en sorte qu’elle soit belle. Mais l’esthétique est une vaste question. J’ai tendance à croire que si la chaise est confortable, elle est forcément belle, même si le rapport n’est pas immédiat ! L’architecture doit nous accompagner, nous faciliter la vie, ce qui n’est pas toujours le cas. D’où l’importance de le rappeler. Nous sommes parfois confrontés à des espaces difficiles à investir, à utiliser. Nous essayons alors de rendre leur utilisation plus facile, plus fluide. L’architecture, c’est une plateforme de vie !

À quel moment le choix du matériau intervient-il dans votre démarche conceptuelle ? 

Idéalement, cela vient presque tout seul. Il y a des matériaux qui se prêtent plus que d’autres à des situations données, auxquelles ils sont mieux adaptés. Chaque projet a sa logique, son raisonnement propre. Nous n’avons pas vraiment de matériaux de prédilection, on construit avec tous sans a priori, ni favoris. Cela dit, la filière sèche satisfait plus fréquemment à notre approche en offrant une grande précision, une technicité évidente. Construire avec le bois ou l’acier est compatible avec l’industrialisation, la préfabrication où l’importance du détail correspond davantage à notre niveau et à notre volonté d’exigence d’exécution. Mais le béton ou la brique ne sont pas pour autant absents de nos réalisations. En fait, nous mixons assez facilement les matériaux. Nous venons d’achever une grande école en Autriche, où l’acier, majoritairement utilisé, offre une certaine cohérence avec le recours au bois dont il accroît les portées franchies sans trop encombrer l’espace qui prend ainsi mieux la lumière ! En effet, le métal permet de réduire les sections des éléments structurels ainsi inclus dans l’épaisseur des dalles, ici, en bois massif. 

Pour ces deux matériaux de la filière sèche, les assemblages — souvent visibles — imposent d’être détaillés. Au travers de ces plans, on décèle comme une sorte de jouissance de votre part à tout dessiner… 

Oui, cela fait partie de mon écriture. J’ai été éduqué en Autriche où la culture architecturale aurait voulu tout contrôler jusqu’à la poignée de porte. Cela me fait plaisir que vous releviez le souci du détail dans notre travail, propre à tous les matériaux. Il est vrai que la filière sèche exige une certaine rigueur de mise en oeuvre de la part des entreprises, et celle-ci dépend grandement de notre précision conceptuelle. Une autre attitude par rapport à l’architecture consiste à montrer les éléments qui la composent. Pour y parvenir, il faut mettre à profit en le laissant visible tout ce qui est disponible : structure, installations et dispositifs techniques, matériaux, presque toujours dans leur état initial, assez brut quant à l’acier et au béton. Absence de couvre-joints et de faux-plafonds dans la mesure du possible, donc assumer la propreté des rencontres entre matériaux ! 

Le large « meccano architectural » de l’acier repose sur une exigeante composition d’assemblages, par rapport au béton où les ferraillages sont noyés dans la masse… Une sorte d’horlogerie où priment les détails au dessin desquels vous êtes particulièrement vigilant. 

Le recours à l’acier impose ce niveau de détail. Ce n’est pas pour autant que nous cherchons le détail pour le détail. D’ailleurs, on soude souvent l’acier, jouant davantage la carte de la simplicité, non dépourvue, paradoxalement, d’une certaine complexité ! La possibilité de pouvoir souder des pièces autorise une facilité d’entretien et de protection des ouvrages, dès lors, plus accessibles. Un bâtiment qui vieillit bien est à mes yeux forcément bien dessiné. Il se valorise dans le temps. L’architecture est faite pour durer et non pour une durée limitée. Nous sommes en train d’étudier une des gares du Grand Paris, celle de Villepinte, avec un viaduc d’environ 5 km de longueur. L’acier y a été retenu pour les deux ouvrages : compacité, faible encombrement, légèreté visuelle… en plus de tous ses autres avantages : l’industrialisation et la préfabrication bienvenues dans un environnement souvent dense en évènements du fait de la proximité du parc des expositions Paris-Nord Villepinte. 

La panoplie de finitions offertes par l’acier stimule-t-elle votre choix ? 

Quand on dit acier, on a encore rien dit : il y a l’acier inox, Corten, l’acier noir qui doit être protégé contre la corrosion et peint… Le panel est effectivement très large. Dans le projet récent de sécurisation de la tour Eiffel, nous avons préconisé une protection en acier Corten car nous cherchions un matériau sombre parfaitement intégrable au jardin situé aux pieds du monument, qui soit robuste au vu de la fréquentation de celui-ci, et qui ne nécessite pas d’être repeint tous les trois ans. Quant aux verres pare-balles des parties vitrées dans l’axe du Champ de Mars, ils sont maintenus par des cadres acier revêtus d’inox pour être moins visibles en reflétant la lumière. Exposé aux eaux et à l’atmosphère salines agressives, l’acier utilisé pour l’accès au Mont-Saint-Michel a, lui, tout particulièrement été protégé de plusieurs couches de peintures très sophistiquées. Son emploi y était justifié par ses capacités de transparence grâce à la finesse des pièces usinées, également propices à l’écoulement des eaux (poteaux tubulaires de 250 mm de diamètre et de 40 à 60 mm d’épaisseur). 

Quand prescrivez-vous l’acier en façade ? 

Habiller une façade est une nécessité compte tenu des contraintes climatiques, écologiques et énergétiques. La vêture devient un sujet. Au stade Jules-Ladoumègue à Paris, les façades sont en acier inox : le pliage des bardages en a réduit l’épaisseur, le poids et, par là même, le coût, tout en conférant un relief à l’ensemble bâti. Nos choix se portent sur le verre, l’aluminium et/ou l’acier. L’acier nous impose ses « valeurs », ses performances, sa matérialité, sa précision… qui se révèlent opportunes sur certains chantiers. 

Quelles sont celles de vos réalisations en acier qui vous tiennent particulièrement à coeur ? 

Tout d’abord, la passerelle Simone-de-Beauvoir, premier ouvrage à avoir marqué ma carrière en France. L’acier y a permis de franchir d’une seule traite la Seine, avec un dessin très spécifique, une certaine finesse dans le croisement des pentes, à la limite du magique et qui génère une forme de sensibilité spatiale, avec une capacité de concentration des efforts dans l’expression architecturale de l’ouvrage, perçu presque comme un « événement » dans le paysage. Le second serait le siège social de l’entreprise sidérurgique Voestalpine en Autriche. Au regard de son activité, construire en acier s’imposait. Nous avons conçu un généreux porte-à-faux en guise d’accueil à ce vaste site industriel. Nous y avons aussi utilisé l’acier pour la structure des planchers constitués de dalles de béton précontraint, combinant ainsi les qualités respectives des deux matériaux. C’est sans doute le projet pour lequel nous avons poussé au maximum la réflexion structurelle à l’intérieur même d’un bâtiment. 

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