CRÉER DANS LE CRÉÉ POUR DE NOUVEAUX USAGES
Éloge de la réhabilitation

Réhabiliter n’est plus un luxe accordé de manière discrétionnaire aux édifices les plus remarquables, c’est, aujourd’hui, une nécessité sociétale et environnementale. En relation avec les défis inédits posés par la réhabilitation du patrimoine, de nouvelles et multiples pratiques apparaissent, tout aussi passionnantes qu’essentielles pour le devenir du cadre de vie.

Composé de deux grandes halles dotées de verrières, le « 104 » présente une superficie impressionnante qui équivaut à la place de la République. Atelier Novembre. © Luc Boegly

En France, l’urbanisation consomme l’équivalent de la superficie d’un département tous les 10 ans en moyenne. La première cause de l’extension des espaces urbanisés est l’habitat individuel avec 46 % des surfaces exploitées, la seconde étant les infrastructures de transport pour 16 %. L’artificialisation des sols est désormais un enjeu majeur de politique publique, en lien notamment avec la prise de conscience de la perte de biodiversité et les conséquences du changement climatique.
Face à ce constat inquiétant, le patrimoine immobilier est aujourd’hui largement sous-utilisé avec, en 2018, près de 3 millions de logements vacants, essentiellement localisés dans les centres-ville. Le monde du bâtiment doit s’engager, lors des prochaines décennies, dans une nouvelle ère où il sera davantage question de « recycler » les constructions existantes plutôt que de conquérir de nouvelles terres… La réhabilitation du patrimoine est un enjeu majeur pour le 21e siècle, et les solutions architecturales proposées par la construction métallique sont plurielles et prometteuses.

L’ENJEU DES LOGEMENTS COLLECTIFS

Une des spécificités hexagonales tient au nombre imposant de grands ensembles ponctuant les territoires des villes : entre le milieu des années 1950 et 1970, près de 4 millions de logements collectifs ont ainsi été construits. Ces bâtiments, conçus majoritairement dans l’urgence, sont très vite apparus inadéquats à la fois techniquement et socialement. Le premier enjeu de la rénovation de ces grands ensembles porte sur l’accroissement de leurs performances énergétiques. Priorité numéro un : l’amélioration des enveloppes et des équipements de génie climatique. L’isolation thermique par l’extérieur (ITE) est, depuis quelques années, la solution standard déployée : une seconde peau est ajoutée aux bâtiments, composée d’un isolant protégé par une vêture. Si de multiples matériaux peuvent être employés pour cette vêture, de l’enduit projeté aux panneaux composites, le métal constitue une réponse pérenne, qualitative et d’une grande souplesse de mise en œuvre.
Achevées en 1981, labellisées « Architecture contemporaine remarquable » (voir encadré) en 2008, les « tours Nuages » conçues à Nanterre par Émile Aillaud constituent un ensemble architectural unique : 18 immeubles aux formes arrondies intégralement recouverts de motifs en mosaïque. Une dégradation irréversible de leurs façades a rendu nécessaire un projet « d’isolation et la réinterprétation artistique » de ces bâtiments. Pour cette opération hors norme, la proposition de l’agence Renaud Vignaud & Associés (RVA) a été retenue : une vêture en inox épousera la géométrie complexe des tours. Cette intervention radicale exploite au mieux les caractéristiques du métal : il permet une restitution fidèle des courbes des immeubles, tandis que l’inox, teinté dans la masse, animera par ses reflets les différentes façades.

Les « tours Nuages » conçues par Émile Aillaud en 1981 à Nanterre : une vêture en inox viendra épouser la géométrie complexe des tours. Doc. : RVA
Différentes reprises en peinture ont rendu la façade illisible. © RVA
© Philippe Ruault
La cité du Grand Parc à Bordeaux, Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe. Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, Frédéric Druot, Christophe Hutin. © Philippe Ruault

PLUGIN ARCHITECTURAUX

Si la performance énergétique des immeubles d’habitation est essentielle, elle s’accompagne désormais d’une réflexion architecturale plus globale touchant à l’amélioration des logements. La complexité de ce type de chantier, la nécessité de contenir les coûts et le maintien souhaité des occupants sur le site durant les travaux amènent aujourd’hui à des interventions de type plugin : une structure extérieure est greffée sur l’existant et permet d’étendre les surfaces des appartements tout en améliorant leur isolation.
En 2019, le prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe a été attribué à une opération de transformation de logements sociaux dans la cité du Grand Parc, à Bordeaux, ouvrage du duo d’architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal.
Objets de cette réhabilitation : trois immeubles de grande hauteur datant des années 1960, un patrimoine bâti peu reconnu et souffrant de piètres performances énergétiques. La proposition des architectes s’appuie sur une économie de projet radicale : conserver au maximum le bâtiment existant et concentrer les investissements sur des extensions ambitieuses permettant de revaloriser de façon durable la qualité des logements. Le programme procède donc par addition de surfaces : une structure métallique extérieure a été accolée aux façades sud des barres. Tous les appartements ont ainsi été prolongés par de larges « jardins d’hiver » et des balcons filants. La performance énergétique globale des bâtiments a également été améliorée au-delà de l’objectif initial BBC Rénovation, sans aucun ajout d’isolant. Ce projet démontre qu’il est aujourd’hui possible de métamorphoser de façon économe et pertinente un patrimoine du 20e siècle trop souvent déconsidéré, une véritable alternative aux opérations de démolition et reconstruction de ces dernières années.

Le Centquatre-Paris, ou « 104 », dans le 19e arrondissement de la capitale : simplicité et flexibilité des espaces, respect de l’architecture originelle. Atelier Novembre. © Meffre & Marchand
© Meffre & Marchand

PLUS DE DENSITÉ

S’il est un autre domaine où les structures métalliques ont un rôle important à jouer, c’est celui des surélévations. Une raréfaction du foncier disponible et la recherche de densités élevées amènent très souvent les maîtres d’ouvrage à privilégier ce type de solution. Que ce soit dans le tertiaire ou dans l’habitat, la recherche d’une « rationalisation foncière » est désormais de mise pour les grands acteurs du marché.
Surélever un bâtiment existant nécessite cependant la conjonction de différents éléments : un plan local d’urbanisme (PLU) acceptant des hauteurs importantes, un marché permettant d’absorber les surcoûts liés à ces opérations complexes, et, surtout, des immeubles aux caractéristiques structurelles aptes, sans modifications majeures, à supporter des niveaux supplémentaires. À Paris, le bailleur social Habitat Social Français (HSF), filiale de la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP), possède un patrimoine bâti constitué majoritairement d’immeubles à ossature béton construits dans les années 1980-1990. Ce type de construction se prête particulièrement bien aux opérations de surélévation, et HSF a déjà réalisé plusieurs opérations similaires. La structure des surélévations est majoritairement réalisée en métal, en raison tout d’abord de sa légèreté, mais également pour sa facilité de mise en œuvre : les charpentes peuvent être décomposées en éléments de petites tailles et ainsi être acheminées plus aisément sur des sites urbains souvent extrêmement contraints.

DES ENJEUX URBAINS

De nombreuses opérations concernent aujourd’hui les édifices datant du 19e siècle : les anciennes halles, bâtiments industriels, casernes désaffectées, anciennes prisons et autres grands édifices accueillent désormais des logements, des bureaux, des commerces, des musées ou différents équipements publics. Le positionnement souvent stratégique de ces bâtis patrimoniaux, au cœur des villes, implique que les attentes générées par leurs mutations sont tout autant urbaines qu’architecturales.
Le programme du projet Centquatre-Paris, ou « 104 », dans le 19e arrondissement de la capitale, est archétypal de ces doubles problématiques : il s’agissait tout à la fois de transformer un ancien bâtiment des pompes funèbres en lieu où puisse dialoguer l’ensemble des arts et pratiques culturelles (plasticiens, musiciens, danseurs, artistes de rue, etc.), et de participer au renouvellement urbain d’un secteur en pleine mutation. La proposition de l’agence Atelier Novembre répond pleinement à ce double objectif. Leur architecture est fondée sur des critères de simplicité et de flexibilité des espaces, dans le respect de l’architecture originelle. La charpente métallique existante de type Polonceau a ainsi été totalement restaurée. Mais les architectes ont également travaillé sur une réinterprétation contemporaine des passages parisiens. Ils ont imaginé une traversée centrale du bâtiment, véritable épine dorsale du projet, totalement ouverte au public et qui chemine librement au milieu d’ateliers d’artistes disposés dans les volumes mitoyens.

DIALOGUE(S)

Chaque époque porte un regard différent sur son patrimoine : les restaurations audacieuses de Viollet-le-Duc ne seraient plus acceptées aujourd’hui, et les débats toujours virulents autour du devenir de notre patrimoine bâti ne cesseront d’agiter la société, fût-il contemporain ou historique. Mais le contexte a changé. L’étalement urbain se tarit, la prise de conscience du caractère limité des ressources et de l’impact des activités humaines sur la planète est prégnante. Les paradigmes émergents sont désormais tournés vers le recyclage et l’économie, et les architectes d’aujourd’hui revendiquent pleinement la réhabilitation en tant que pratique contemporaine du projet. Une nouvelle page de l’architecture s’est ouverte.

LA RECONNAISSANCE PAR L’ÉTAT DU PATRIMOINE
ARCHITECTURAL CONTEMPORAIN

En 2006, le label Architecture contemporaine remarquable
a succédé au précédent label Patrimoine du XXe siècle. À l’initiative du ministère de la Culture, il porte sur les immeubles, les ensembles architecturaux, les ouvrages d’art et les aménagements non classés ou inscrits au titre des monuments historiques et datant de moins d’un siècle. L’objectif affiché est de montrer l’intérêt des constructions récentes, de faire le lien entre le patrimoine ancien et la production architecturale actuelle, et d’inciter à leur réutilisation en les adaptant aux attentes du citoyen (écologique, mémorielle, sociétale, économique…). Si les ouvrages labellisés ne font l’objet d’aucune mesure de protection ou de contraintes particulières, leurs propriétaires sont tenus d’informer les autorités compétentes de leur intention d’exécuter des travaux. Dans ce cadre, une aide technique peut leur être apportée afin de s’assurer que les modifications respectent les qualités initiales du bien. À ce jour, plus de 1 300 réalisations ont été identifiées sous ce label.

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