PASCALE DALIX ET FRÉDÉRIC CHARTIER
Matière vivante

Pascale Dalix et Frédéric Chartier ont créé leur agence d’architecture en 2008. Récompensés par de nombreux prix dont celui de la Première Œuvre du Moniteur, ils développent un travail singulier autour d’interactions provoquées entre utilisateurs, habitants et lieux supports de biodiversité.

Les espaces végétalisés occupent une place importante dans vos projets ?

En Europe, l’univers du bâti et celui du naturel sont traditionnellement séparés. L’espace vert est conçu en accompagnement de l’espace construit, généralement pour le valoriser et parfois pour justifier la densification de certains quartiers. Ce que nous proposons à travers nos projets et nos écrits, c’est un rapprochement entre ces deux mondes, une manière de repenser la société de demain. Sous la raison fondamentale de faire revenir la nature en ville, nous revisitons les fondamentaux de l’architecture à travers un travail sur les formes et les matériaux. Bien plus que la simple présence de végétation en balcon, façade ou toiture, l’enjeu est de créer un univers qui rapproche l’habitant, l’usager du bâtiment, d’un univers naturel.
Dans le groupe scolaire réalisé à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, nous avons conçu un écosystème en toiture qui, aujourd’hui, est devenu un véritable outil pédagogique pour l’ensemble de l’école.
Installer du vivant, c’est bien, mais c’est encore mieux lorsqu’il y a une interaction avec les personnes qui l’utilisent ! Nous n’avons pas d’a priori sur l’utilisation de tel matériau ou de tel autre, ce que nous aimons avant tout, c’est
explorer leurs potentialités. Sur l’un de nos premiers projets, le Boulodrome couvert de Meaux, en Seine-et-Marne, la charpente et le bardage sont métalliques en réponse à de fortes contraintes économiques. Pour le collège de Moulins à Lille, nous avons employé un zinc prépatiné rouge, un peu bordeaux, qui a été décliné sur tout le bâtiment : il est mur, il s’incline, change de direction, devient toiture ou corniche… Nous préférons « essorer » les possi­bilités d’un même matériau sur un projet plutôt qu’en utiliser plusieurs.

Dans votre travail, la question de l’échange semble essentielle ?

Nous ne sommes pas juste des créateurs d’espaces, nous considérons que nous devons aussi en proposer qui stimulent des liens sociaux, des lieux supports d’échanges.
Porte des Lilas à Paris, nous avons réalisé un foyer de jeunes travailleurs de 250 studios. Le programme comprenait à l’origine deux entités qui n’étaient pas censées se croiser, et nous avons chamboulé le cahier des charges en créant une sorte de faille horizontale au troisième étage, un niveau complètement ouvert qui accueille tous les espaces communs du projet : médiathèque, salle de sport, cuisine collective… C’est un lieu où les gens se rassemblent, ils animent une page Facebook du bâtiment, une histoire est en train de se fabriquer, ce qui est fondamental pour nous. En écologie, un écotone est un territoire très riche parce qu’il est à la rencontre de deux milieux différents. Dans chacun de nos projets, nous essayons de trouver cette lisière, ce lieu où les choses se mélangent, un « commun » où des gens qui ne se croisent jamais puissent se retrouver. Il faut remettre l’habitant au cœur de l’architecture, lui faire confiance, insuffler de la vie au bâtiment et donc ne pas rigidifier la conception au départ.

Comment mettre en œuvre ces concepts dans un projet tel que celui de la métamorphose de la tour Montparnasse ?

La tour Montparnasse nous permet de montrer que nos idées peuvent être développées à plusieurs échelles, pas uniquement sur un groupe scolaire ou un immeuble de logements. Aujourd’hui, cette tour fonctionne comme la plupart des grands immeubles de bureaux : on peut y passer une journée entière en totale déconnexion avec l’extérieur… Dans notre projet, nous créons au quatorzième étage un jardin suspendu, un lieu ouvert où l’on peut ressentir la pluie, le vent, prendre un café au soleil. Ce sera un espace très dynamique, avec du coworking, des cafétérias. Nous y aménageons tout un système d’échanges pour que ce jardin soit le plus vivant possible. Et sur le toit, nous installons une serre productive expérimentale autour de cette question : que peut-on produire en plein Paris à 200 mètres de hauteur en exploitant un minimum d’énergie ? Nous y travaillons avec différents acteurs et notamment des spécialistes en biodiversité urbaine. Ce dernier étage accueillera également de la restauration et pourra être utilisé pour des événements ponctuels.

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