Quels futurs pour les villes ?

Quelles villes pour demain ? Le changement climatique et la croissance démographique obligent à repenser les cités et les modes d’habiter. En ce début de millénaire, les propositions pullulent, des utopies spontanées de collectifs d’architectes aux projets les plus monumentaux chiffrés à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Doc. : Sidewalk Labs

Dès la naissance des premières villes, la quête de la cité idéale est apparue. Considéré comme l’un des fondateurs de l’urbanisme, Hippodamos de Milet, géomètre et ingénieur du 5e siècle avant J-C, fut un des premiers à concevoir un plan de ville en damier, une organisation rationnelle de l’espace que l’on retrouve aujourd’hui à Barcelone ou à New York.
Au 16e siècle, Thomas More invente le terme d’« utopie » pour évoquer une société idéale et sa parfaite transcription spatiale. Chaque époque a conçu ses propres utopies, visions idéalisées d’un futur que l’on rêve harmonieux et apaisé.
Le siècle dernier n’a pas failli en la matière : du plan Voisin de Le Corbusier aux images Pop de cités futuristes du collectif anglais Archigram, les propositions urbaines ont fluctué au gré des tragédies et des inventions techniques qui ont ponctué la fin du deuxième millénaire. Une rupture fondamentale avec toutes les périodes précédentes est cependant intervenue : l’avènement de l’Anthropocène et la prise de conscience du « jardin planétaire », concept développé par le paysagiste Gilles Clément. Les utopies d’aujourd’hui sont écoresponsables et intègrent toutes l’idée d’un équilibre nouveau à trouver avec notre planète.

Doc. : Vincent Callebaut Architectures
Doc. : Circa

Les défis du 21e siècle

Deux enjeux majeurs devront être relevés par les villes de demain : l’accroissement de la population urbaine et le changement climatique. Selon un rapport du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, en 2050, la population mondiale atteindra 9,8 milliards de personnes dont les deux tiers habiteront dans des centres urbains. Ces projections annoncent 2,5 milliards de citadins supplémentaires, un chiffre vertigineux à la mesure des défis à relever : logements, transports, systèmes énergétiques et autres infrastructures, autant de problématiques auxquelles devront répondre les mégalopoles de demain. Parallèlement à cette croissance démographique, les indicateurs climatiques sont alarmants.
On estime que le seuil de 1,5 °C de réchauffement devrait être atteint dès 2040. Une telle élévation de température aura pour conséquence une augmentation des vagues de chaleur, des événements tempétueux plus fréquents et une probable élévation massive du niveau de la mer. Il est impératif d’anticiper ces modifications climatiques sur le design des villes, tout en limitant de façon drastique leurs émissions de CO2. La cité idéale vertueuse, objet de multiples utopies, n’est plus aujourd’hui un rêve d’urbaniste ou d’architecte, mais une nécessité vitale pour le devenir de la planète. Et derrière la diversité des grands projets urbains en cours d’élaboration, on peut identifier des thématiques récurrentes qui sont autant de réponses directes aux grands enjeux de demain.

Doc. : Sidewalk Labs

Densité

Né à la fin du 19e siècle, le concept de densité a été interprété de multiples façons. La densité a d’abord été perçue comme une des causes de l’insalubrité et de la mortalité des villes. Les cités idéales d’alors sont des entités « finies », déterminées par des préceptes hygiénistes. Mais l’étalement urbain du 20e siècle et les progrès de la science renversent ce rapport à la densité qui apparaît désormais comme une des solutions à l’émiettement des villes et à l’artificialisation des sols. La densité devient alors une prise de position architecturale et esthétique, à l’image du Delirious New York écrit par l’architecte Rem Koolhaas.
La verticalité des édifices est récurrente dans la majorité des projets urbains du 21e siècle, de hautes tours émergent au sein d’espaces publics généreux à l’image du « Central Park » de la cité coréenne de Songdo. Les édifices deviennent hybrides et abritent logements, bureaux, commerces, voire des espaces cultivables. L’hyperdensité apparaît en effet comme une des solutions pour répondre aux besoins alimentaires de la population : on étudie aujourd’hui des projets de farmscrapers (« fermes gratte-ciel », contraction de farm et de skyscrapers) dont les perspectives, encore théoriques, semblent prometteuses.
Mais cette recherche de densité ne se limite cependant pas au ciel : au Mexique, l’agence Bunker Arquitectura développe le concept de l’Earthscraper, un gratte-ciel en négatif qui plonge vers le centre de la Terre. Il se présente sous forme d’une pyramide inversée de 65 étages, creusée à plus de 300 m sous la surface. Et de nombreux architectes dont Dominique Perrault, le concepteur de la bibliothèque François-Mitterrand, étudient maintenant les possibilités
offertes par les sous-sols de nos villes.

Doc. : Sidewalk Labs

Sobriété et connectivité

La ville de demain sera nécessairement sobre, compatible avec une planète aux ressources limitées et n’émettant plus de gaz à effet de serre. Pour répondre à ces objectifs, les énergies vertes sont omniprésentes dans les projets des villes du futur, le plus souvent à travers l’éolien et le solaire. Les bâtiments sont devenus autonomes et produisent leur propre énergie, les déchets sont soigneusement triés, et les mobilités sont douces ou électriques.
Mais pour une gestion optimale des ressources à l’échelle d’une cité entière, on s’appuie désormais sur le concept de Smart City, ou « ville intelligente ». L’espace physique est équipé de multiples capteurs permettant de surveiller et de gérer les systèmes de circulation et de transport, l’ensemble des réseaux urbains, l’éclairage des rues, les déchets, etc. L’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le fonctionnement d’une Smart City a entraîné l’apparition de nouveaux opérateurs urbains dont Sidewalk Labs, une filiale du géant américain Google.
À Toronto, Sidewalk Labs développe sur 5 hectares un projet de quartier écolo-technologique d’avant-garde. L’habitat sera flexible et modulable en fonction de lʼévolution de la ville et de ses habitants, des cloisons mobiles permettant de modifier la surface des appartements. La maîtrise d’œuvre des espaces publics a été confiée à l’architecte italien Carlo Ratti, spécialisé dans l’application des techno­logies numériques à l’urbanisme. Il a conçu des rues recouvertes de pavés hexagonaux sertis de Led permettant de modifier la signalétique de manière dynamique. Les espaces affectés aux piétons et cyclistes peuvent s’élargir en fonction des besoins ou de l’affluence mesurée en temps réel, les routes sont chauffantes, et l’ensemble des surfaces est connecté de façon permanente. Si les bénéfices liés à la mise en œuvre d’une Smart City sont évidents, beaucoup d’interrogations subsistent. Elles portent notamment sur l’utilisation des données recueillies et sur l’absence patente d’anonymat dans ces villes entièrement connectées.

Quel futur pour les villes ?

En opposition à ces projets urbains high-tech, des propositions alternatives émergent sous le concept de Wise City (« ville sage »). L’idée maîtresse est d’améliorer la ville à l’aide de solutions nécessitant moins de ressources et moins d’énergie que dans la Smart City, en s’appuyant davantage sur l’intelligence collaborative et sur les ressources déjà à disposition. Une ville de demain frugale et économe, basée sur le principe des cinq « R » (refuser, réduire, réutiliser, réparer et recycler).Cette opposition entre ville high-tech et low-tech recouvre une seconde fracture, plus profonde. À côté des projets utopistes de villes nouvelles construites ex nihilo, il faut accompagner la transformation du patrimoine bâti de toutes les cités existantes, véritable mémoire des sociétés et de leurs cultures. Autant de villes que d’histoires particulières, de contextes spécifiques et de manières d’habiter différentes. En Afrique, en Asie ou en Inde, les futures mégalopoles géantes existent déjà, elles s’accroissent quotidiennement, et leur nécessaire mutation est un défi tout autant technique que social.

MASDAR, UNE VILLE ZÉRO CARBONE

Conçue par l’agence britannique de design et d’architecture Foster + Partners, Masdar est située à 30 km à l’est d’Abou Dhabi, dans les Émirats arabes unis. Ce projet toujours en développement a pour ambition de devenir la première ville sans émissions carbone et sans déchets. Pour atteindre cet objectif, il est prévu de construire une centrale solaire d’une puissance de 100 mégawatts (MW) couvrant 2,5 km2, un investissement évalué à 350 millions de dollars. Les toitures de la ville supporteront 5 000 m2 de panneaux photovoltaïques. Une ferme éolienne de 20 MW sera également réalisée.
Pour les déplacements, un système de transports à haute efficience énergétique et sans émissions de gaz à effet de serre va être mis en place : le personal rapid transit (PRT), ou transport personnel automatisé. Il s’agit d’un nouveau dispositif technologique composé d’une infrastructure dédiée et de cabines de taille moyenne sans chauffeur pouvant être empruntées de manière individuelle ou collective. Ce mode de transport permettra aussi d’assurer le fret en ville ainsi que l’évacuation des déchets.
L’architecture prévue pour Masdar s’inspire de concepts bioclimatiques : des couloirs ventés traversant la ville de part en part pour l’aérer naturellement afin de favoriser l’apparition d’un microclimat, un plan général de type traditionnel entouré de murs destinés à protéger des vents chauds du désert et des constructions basses utilisant la climatisation naturelle. À terme, la ville accueillera 52 000 habitants. Initialement prévu en 2016, l’achèvement de Masdar City a été réévalué à l’horizon 2030 pour un coût total estimé à environ 17 milliards de dollars.

 

PARIS 2050 ?

Dans le cadre de l’étude de son Plan Climat Énergie visant à réduire de 75 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, la Ville de Paris a confié à l’architecte Vincent Callebaut une étude prospective visant à métamorphoser Paris en une Smart City écoresponsable. À travers huit propositions manifestes portant sur autant de quartiers de la capitale, il développe un projet d’hyperdensification de la ville et de mutation radicale de certains de ses lieux les plus emblématiques.
Rue de Rivoli, des Mountain Towers à énergie positive viennent surmonter les immeubles haussmanniens existants. La tranchée de la Petite Ceinture de Paris est ponctuée des Antismog Towers, à la fois tours dépolluantes et logements « maraîchers ». L’Ensemble immobilier Tour Maine-Montparnasse (EITMM) est transformé en un « Central Park » vertical équipé des Photosynthesis Towers utilisant des bioréacteurs à algues vertes. Dans le 13e arrondissement, les treize tours de l’ensemble Masséna sont enveloppées d’un exosquelette en bambou tressé. Porte des Lilas, les HBM sont colonisées par des Honeycomb Towers, des structures hexagonales verticales composées d’habitations individuelles. Des Farmscrapers Towers ramènent la campagne au cœur de la ville dans le secteur de la porte d’Aubervilliers. Gare du Nord, une forêt de tours végétales est implantée au-dessus des voies ferrées. Enfin, deux Bridge Towers s’ajoutent aux 37 franchissements de la Seine, véritables ponts habités culminant à presque 200 m.

 

SUR ET SOUS LA MER

Face au changement climatique et à une probable montée du niveau des mers, de nombreux projets maritimes sont en cours d’élaboration. Le groupe de construction japonais Shimizu Corporation réfléchit depuis des années à une « ville globale flottante » pouvant accueillir jusqu’à 5 000 habitants. Leur proposition : une sphère de 500 m de diamètre immergée aux neuf dixièmes et pouvant descendre le long d’un axe hélicoïdal plongeant jusqu’à 4 000 m. L’ensemble de la structure, appelée Ocean Spiral, est autonome en énergie et en alimentation. Les étages supérieurs de la structure interne sont réservés aux hôtels et espaces de conférence. Suivent verticalement les habitations, les zones de travail, d’autres loge­ments, puis les laboratoires et installations de recherches scientifiques. Le rafraîchissement de l’air est réalisé par convection naturelle, tandis que l’éventuel réchauffement provient d’une exploitation du potentiel thermique de l’eau environnante. Le coût d’un tel projet est aujourd’hui estimé à 20 milliards de dollars. L’agence d’architecture néerlandaise Waterstudio. NL propose pour sa part un concept de « point vert » à haute densité : le Sea Tree. Il s’agit d’une structure flottante non accessible à l’homme, construite et conçue à 100 % pour la faune et la flore. Basé sur une technologie off-shore inspirée des plateformes pétrolières, le souhait des architectes est que les grandes compagnies pétrolières offrent un Sea Tree à une ville, exprimant ainsi leur préoccupation pour un meilleur environnement urbain. Un projet high-tech destiné à favoriser la biodiversité sur l’ensemble des cités littorales.

 

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