SOLUTIONS BAS CARBONE, MODE D’EMPLOI

Production-construction du bâtiment, vie en œuvre et fin de vie : trois voies pour améliorer efficacement le bilan carbone des bâtiments avec les aciers d’aujourd’hui et de demain.

L’analyse du cycle de vie (ACV) d’un bâtiment permet de mesurer son impact environnemental du berceau à la tombe. Ce que l’on appelle communément « l’impact carbone » est un des indicateurs de cette ACV. Pour mesurer l’impact environnemental d’un bâtiment, il « suffit » de faire la somme des impacts de chaque composant et de la répartir sur la surface de planchers de l’édifice. La réglementation (RE 2020) fixe des seuils pour l’impact carbone – en réalité les gaz à effet de serre (GES) exprimés en kg de dioxyde de carbone équivalent – à ne pas dépasser par mètre carré. Cette méthode additionnelle des impacts des composants n’intègre cependant pas les interactions possibles entre eux : le choix d’un composant peut avoir une influence sur d’autres composants et le bilan environnemental réel est bien celui d’un système et non pas celui d’un composant. Il appartient donc au concepteur de maîtriser les impacts de ses choix selon les trois périodes de vie du bâtiment – à savoir sa production-construction, sa vie en œuvre et, enfin, sa fin de vie – avec comme seul objectif le bilan global.

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LES ACIERS ET LA PRODUCTION DU BÂTIMENT

L’impact environnemental d’un matériau ne peut être abordé que sous l’angle de l’unité fonctionnelle du composant qu’il constitue afin de pouvoir être comparé à d’autres matériaux. En effet, 1 kg d’acier, 1 m3 de béton, 1 kg de verre ou 1 m3 de bois n’ont aucun sens dans un bâtiment et le poids ou le volume n’est qu’une conséquence de la quantité de matière requise pour assurer un objectif technique : capacités structurelles, surfaces d’occultation ou d’échange thermique, volume d’un espace… Ainsi, l’amélioration du bilan environnemental d’un compo­sant est nécessairement corrélée au volume de matière néce­ssaire pour l’atteinte de la même performance. En ce qui concerne les aciers, il existe trois axes d’amélioration majeurs.

La nuance d’acier

Il n’existe pas un acier mais des aciers ! En ce qui concerne les aciers de structure, un paramètre est important, il s’agit de sa limite d’élasticité qui confère au matériau des propriétés croissantes de performance. Plus la limite d’élasticité est élevée, plus l’acier résiste. Ainsi, pour reprendre des charges descendantes importantes, des poteaux réalisés avec des aciers à haute limite d’élasticité seront de section plus faible que des poteaux constitués d’aciers courants. La masse volumique des aciers étant la même quelle que soit sa nuance, il en résulte un poids inférieur par poteau (unité fonctionnelle) et donc un bilan environnemental amélioré, car l’empreinte carbone par tonne reste identique. Cette méthode retrouve aussi son application dans les aciers minces constitutifs des enveloppes ou des planchers. L’accroissement de propriétés mécaniques dû à la prise en compte d’aciers à limite d’élasticité plus élevée permet de diminuer l’épaisseur des aciers et donc d’améliorer l’impact carbone par unité fonctionnelle (mètre carré de façade, de toiture ou de plancher). En résumé : la nuance d’acier permet d’en limiter sa quantité avec un gain direct et proportionnel pour l’empreinte carbone.

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Le procédé de fabrication de l’acier

Il existe aujourd’hui deux méthodes de production des aciers : l’acier primaire qui transforme le minerai de fer en acier et l’acier recyclé qui transforme les aciers de fin de vie (ferrailles) en acier neuf sans perte ni de matière ni de propriétés. Si la seconde méthode est plus économe en matière d’émissions de gaz à effet de serre, elle ne suffit pas à produire à elle seule les besoins de la planète. De fait, la production d’acier primaire va se poursuivre et les sidérurgistes ont engagé la modification de leur outil de production de manière disruptive pour répondre aux enjeux climatiques. L’acier primaire s’obtient dans un haut-fourneau par réduction de l’oxyde de fer par du carbone et de l’énergie. Le coke (charbon raffiné) a le double avantage de remplir les deux missions avec un résultat discutable aujourd’hui quant à la production de CO2 qu’elle génère. L’avenir est aujourd’hui dans la réduction de l’oxyde de fer par d’autres moyens comme l’utilisation de l’hydrogène (production d’eau H2O) avec une énergie décarbonée. Le programme de transformation des usines est en marche et devrait être mené à bien en 2050 pour les aciers européens avec des phases intermédiaires, comme l’utilisation de gaz naturel avant l’hydrogène ou l’intégration accrue de ferrailles dans le processus haut-fourneau pour diminuer les émissions de GES ou d’autres méthodes spécifiques à chaque sidérurgiste. La filière de production, dite « électrique », concerne jusqu’à présent le recyclage des aciers de fin de vie avec de l’énergie de plus en plus décarbonée. L’évolution de cette méthode et du bilan environnemental de ces aciers dépend principalement de l’énergie qui alimente les usines et de la disponibilité des aciers de récupération. La France est, dans ces deux domaines, bien positionnée. En résumé : les aciers de construction européens sont sur la voie de la neutralité carbone à échéance 2050. Mais, dès aujourd’hui, des sidérurgistes proposent sur le marché français des produits et composants acier de structure et d’enveloppe dont l’empreinte carbone par unité fonctionnelle (1 m2 de bardage ou toiture ou 1 m de poutre) est fortement réduite. Elle est effectivement divisée par au moins trois par rapport aux aciers classiques. Ces solutions font l’objet de FDES (fiches de déclaration environnementale et sanitaire) déjà publiées ou à venir en 2023 pour répondre aux exigences de la RE 2020 et plus largement d’EPD (Environmental Product Declarations) européennes publiées. Les solutions acier bas carbone sont donc dorénavant une réalité !

L’ingénierie

Les sciences de l’ingénieur permettent également d’améliorer le bilan environnemental d’un bâtiment en phase de production. Il s’agit ici de s’interroger sur la possible diminution de quantité de matière embarquée pour atteindre la performance recherchée. Ce peut être par exemple l’utilisation de profils à inertie variable pour supprimer l’excédent d’acier dans un profil à inertie constante (cas des portiques à trois articulations) ou l’appel à des poutrelles cellulaires, dont la production, à partir d’un profilé standard, aboutit à des composants de plus grande inertie avec le même poids qu’au départ. En résumé : l’ingénierie permet d’abaisser la masse de matière pour une performance visée. Ces trois axes – nuance, procédé de fabrication, ingénierie – peuvent bien évidemment être considérés conjointement pour viser une performance accrue dans la recherche du moindre impact.

LES ACIERS ET LA VIE EN ŒUVRE DU BÂTIMENT

Certaines parties d’un bâtiment n’existent que par conséquences techniques ou réglementaires. Par exemple la partie des marches d’un escalier hélicoïdal entre la ligne de foulée et le fût central, l’épaisseur d’un plénum ou plus largement des volumes occupés par les besoins de passages techniques, etc. La prise en compte de tous ces facteurs pour les minimiser conduit à un gain énorme sur la quantité de matériaux employés, et donc sur les émissions de GES. À titre d’exemple, l’utilisation de poutres cellulaires qui assurent le passage des réseaux, sans volume de plénum requis, conduit à diminuer l’épaisseur totale du plancher. Cela se traduit par une économie de matériaux en façade (premier gain décrit au point précédent), mais aussi par un gain à l’usage en matière de conditionnement du bâtiment et par conséquent une moindre consommation d’énergie : – moins de surfaces d’échanges intérieur/extérieur ; –  moins de volume conditionné (chauffage ou refroidissement).

La durée de vie et la maintenance des composants doivent également être considérées au-delà des indications des FDES. En effet, les durées de vie de référence des FDES, théoriques, sont dans certains cas surestimées par rapport aux réalités d’usage… Ainsi, les propriétés de durabilité et de modification des composants peuvent générer leur remplacement et accroître de ce fait considérablement l’impact environnemental du bâtiment. Les structures en acier sont à ce titre exemplaires, car très aisément modifiables, faciles à renforcer et à adapter sans les remplacer… Il en est de même pour les enveloppes en acier dont la démontabilité permet d’accroître leurs performances thermique, acoustique, esthétique… sans les changer. À titre d’exemple, on peut citer le cas des bâtiments tertiaires, dont les changements d’usage et/ou de propriétaires ont lieu avant les 50 ans de la durée de vie conventionnelle des FDES et qui ne sont donc pas pris en compte dans le scénario de bilan environnemental réglementaire.

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LES ACIERS ET LA FIN DE VIE DU BÂTIMENT

Lorsqu’un ouvrage atteignait ses limites fonctionnelles, la règle était celle de la démolition. Avec les enjeux environnementaux actuels, cette règle change et il devient nécessaire de choisir entre deux voies :

  • la remise à niveau ;
  • la déconstruction
Utilisée à la fois comme un élément de mémoire et une authentique vitrine du site, une ancienne halle fabriquée par les ateliers Eiffel a été démontée puis déplacée pour être reconstruite le long de l’immeuble Bridge conçu par Jean-Paul Viguier à Issy-les-Moulineaux (92). DR
L’utilisation de poutres cellulaires qui assurent le passage des réseaux, sans plénum requis, conduit à diminuer l’épaisseur totale du plancher. DR

Concernant la restructuration d’un bâtiment en acier, les solutions techniques de renforcement de composants ou de modification du schéma statique permettent de conserver les structures et relèvent d’une économie financière naturelle. Cette économie de matériaux neufs conduit de manière simultanée à de moindres émissions de GES. Plus on prendra en considération les vertus de la conservation des structures, plus on construira avec des systèmes flexibles comme les structures en acier. Lorsque la restructuration n’est pas possible – un immeuble d’habitation est peu transformable en gymnase par exemple –, alors la décision de la déconstruction s’impose et il devient primordial de s’interroger sur le devenir des composants déconstruits. La filière acier est, là encore, exemplaire puisqu’elle ouvre deux voies possibles : le recyclage complet ou le réemploi partiel ou total. Les aciers sont tous recyclables et effectivement recyclés. Les sidérurgistes utilisent les aciers de fin de vie pour en confectionner de nouveaux et ce processus est infini, sans perte de qualité. La méthode est connue depuis le 19e siècle et l’organisation des retours (collectes, tris, expéditions) est en place depuis le début du 20e siècle, la ferraille ayant une valeur marchande avérée. Aujourd’hui, l’Europe considère que les aciers ne sont jamais des déchets (Règlement européen n° 333/2011 du 31/03/11).

La façade contreventée est composée de grands profilés en acier laminés à chaud, principalement HD 400, avec nuances d’acier à haute résistance et de qualité Histar 460 MPa. Ces profilés de 12 m de longueur ont été assemblés sur place en forme de V, chacun pesant environ 14 t. Photo : Pierre-Elie de Pibrac

Le réemploi est une valeur nouvellement prise en compte, même si les Trente Glorieuses et leur appétence à nous faire consommer nous ont fait oublier ce que l’on appelait « le bon sens paysan » qui faisait que l’on ne jetait pas les matériaux de construction. Il existait par le passé et dans les villes des magasins de matériaux de récupération ; c’était déjà de l’économie circulaire. Nous revisitons donc le passé, mais en appliquant des règlements et normes visant à sécuriser le réemploi. Les aciers sont les maîtres dans l’art du réemploi, car ils ont les vertus requises pour cette discipline :

  • démontabilité aisée des structures anciennes (séparation en éléments simples) ;
  • homogénéité de la matière (à tout endroit d’un composant en acier, les propriétés mécaniques sont toutes dans une fourchette de tolérances industrielles normalisées) ;
  • requalification des aciers anciens (les méthodes normalisées permettent de déterminer leurs propriétés physico-
    chimiques ; ainsi identifiés, ils peuvent être intégrés dans un calcul au même titre qu’un acier neuf) ;
  • sécurité (les aciers sont altérés principalement en surface par la corrosion, ce qui exclut toute altération de cette nature au cœur du matériau).

Parallèlement au réemploi en tant que composant identique (poutrelle IP ou HE, cornière…), les éléments de construction en acier peuvent être assemblés en sous-systèmes tels les poutres-treillis ou les profils issus de deux profils assemblés-soudés, etc. L’ingénierie associée au calcul parfaitement maîtrisé permet de concevoir en toute sécurité de nouvelles structures réalisées tout ou partie avec des aciers de réemploi.

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