RÉSIDENCE EISENHOWER À REIMS

Exercice de style(s)

À partir de la seconde moitié du 19e siècle, construire son hôtel particulier boulevard Lundy à Reims consacrait la réussite des négociants en Champagne, des manufacturiers de tissus ou encore celle des dirigeants de comptoirs de commerce. Aujourd’hui, celui-ci s’est transformé en élégante vitrine de plusieurs maisons de Champagne prestigieuses. Piper-Heidsieck, Charles Heidsieck et Rare Champagne installent leur maison d’hôtes VIP dans l’ancien
hôtel Mignot rénové par François Chatillon.

La nouvelle verrière du bow-window, un petit chef-d’œuvre de métallerie, réimaginé par l’architecte faute d’archives.
Retrouver le caractère domestique et intime, dans l’esprit d’une grande maison de famille, plutôt qu’un hôtel ou un palace normé.

LE BALANCIER DE L’HISTOIRE

En 1911, Édouard Mignot, riche commerçant en épicerie, propriétaire des Comptoirs Français, commande à l’architecte parisien François-Adolphe Bocage un hôtel particulier édifié au 17 boulevard Lundy dans le « grand style français », sa modénature et sa décoration s’inspirant des châteaux de Fontainebleau et de Versailles, époques Louis XV et Louis XVI, notamment le Grand et le Petit Trianon. L’Art nouveau s’y manifeste avec les vitraux du grand escalier tout en intégrant le progrès technique, tels l’ascenseur (le premier dans une résidence rémoise), l’électricité et les sanitaires. Achevée en 1913, la demeure familiale de grand standing développe 1 200 m2 sur cinq niveaux avec « façade en pierre de taille de carrières toutes proches de la Meuse et du bassin parisien, grandes baies généreuses aux clés sculptées et aux menuiseries à grands carreaux, décors raffinés, hall et escalier en stuc imitation pierre et subtiles ferronneries, pièces d’apparat aux lambris blanc et or toute hauteur, parquet versaillais. À l’étage, les chambres obéissaient à des goûts plus personnels : lambris d’appui et de hauteur, cheminées en marbre, parquet en point de Hongrie, salle de bains de “Madame“ perlée de céramiques vernissées à l’imitation de pierres précieuses ». Conforme à ce qui se faisait à l’époque, sa distribution intérieure était ainsi hiérarchisée : desservi par un porche traversant, le rez-de-chaussée bas était dédié aux services ; le rez-de-chaussée haut hébergeait les salles de réception et d’apparat (salle de bal) ; le premier étage, les appartements de la famille Mignot ; le deuxième, les chambres des invités ; et le dernier, celles du personnel. Bombardé durant toute la Première Guerre mondiale par l’Allemagne, Reims vit son patrimoine architectural en bonne partie ravagé, à commencer par sa cathédrale éventrée dès septembre 1914. L’hôtel Mignot fut plutôt préservé. Seule la spectaculaire véranda éclairant le vaste palier, antichambre de l’étage noble, n’y a pas survécu. Ses propriétaires l’habitent jusqu’en juin 1940 lorsque l’armée allemande occupe la ville et réquisitionne l’édifice. À leur départ, en février 1945, la famille Mignot le met à la disposition du généralissime des armées alliées, Dwight D. Eisenhower, qui y élut domicile jusqu’au 8 mai suivant, le lendemain de la reddition des forces allemandes à… Reims ! À la suite de son rachat au début des années 1950 par un promoteur, le bâtiment est revendu une fois partitionné en appartements pour se retrouver… dans un triste état lorsque EPI parvient à le racheter à ses copropriétaires en 2018.

L’hôtel particulier historique, édifié au début du 20e siècle, a été entièrement restauré et restructuré dans la continuité de son histoire.
Le lieu mélange avec subtilité antiquité et design contemporain.

Croire dur comme fer à sa renaissance

Créée en 1974 par Jean-Louis Descours, alors président-actionnaire du groupe André, pour regrouper ses actifs suite au rachat du chausseur J.M. Weston, EPI est une holding familiale désormais recentrée sur la mode de luxe (Bonpoint) et les vins et spiritueux (Château La Verrerie, champagnes Charles Heidsieck et Piper-Heidsieck achetés en 2011).
À la tête d’EPI depuis 1999, Christopher Descours, petit-fils du fondateur, et son épouse étaient à la recherche d’une adresse rémoise pour accueillir dignement les hôtes VIP de leurs maisons de Champagne. EPI avait déjà acheté un hôtel particulier sur le boulevard Lundy, lorsque la copropriété de l’hôtel Mignot accepta enfin de le vendre à la holding.
À l’issue d’une mise en concurrence, François Chatillon est retenu pour « révéler tout le potentiel de l’édifice en conciliant mise en valeur de l’existant et utilisation contemporaine », « exercice de style(s) » dans lequel excelle l’architecte en chef des monuments historiques (auteur de la restauration des halles du Boulingrin à Reims). Défenseur d’un patrimoine vivant,
il va répondre à l’attente des commanditaires de recréer une maison de famille ayant su évoluer avec son temps. Il lui faut restituer ce qui peut et doit l’être, satisfaire aux exigences relatives à un ERP et y réintroduire la modernité sans pour autant que la norme ne vienne dénaturer les volumes originels ou ne trahisse l’esprit du lieu. En matière de sécurité incendie, un second ascenseur aux normes actuelles double celui, historique, qui est rénové. Afin de répondre à l’obligation de créer un écran de cantonnement des fumées entre la cage d’escalier principale et le rez-de-chaussée haut, l’acier a permis de dessiner une généreuse baie libre réglementaire dont la teinte anthracite fait écho à l’élégante ferronnerie restaurée du garde-corps, aux radiateurs en fonte rénovés, aux lustre et appliques en bronze canon de fusil (édités par Mathieu Lustrerie), mais, surtout, à la nouvelle verrière du bow-window ouvrant panoramiquement l’antichambre sur le jardin. Faute d’archives, l’architecte a dû la réimaginer avec ses verres cintrés, partiellement granités : un petit chef-d’œuvre de métallerie mis en œuvre par Mazingue. On doit aussi à cette Entreprise du patrimoine vivant, la réalisation du patio créé au cœur du dernier étage pour généreusement éclairer naturellement les petits salons périphériques desservant ses quatre chambres. Autre réalisation du ferronnier, le pavillon d’été à structure et menuiseries acier implanté dans le jardin de l’hôtel pour y offrir un espace de réception ou de réunion supplémentaire. On retrouve également de l’acier inox pour la cuisine ouverte donnant sur la salle du petit-déjeuner implantée au rez-de-chaussée bas, ainsi qu’en piètement de l’immense table de dégustation contemporaine aménagée dans les caves. Mélangeant avec subtilité antiquité et design contemporain, l‘ensemble du mobilier a été sélectionné par Sarah Chatillon (galeriste diplômée de l’École du Louvre) dans le garde-meuble des propriétaires, en salles des ventes (Jacques Adnet, Eero Saarinen, Marco Zanuso), parmi des rééditions de Jean Prouvé (Vitra), de Le Corbusier (Cassina) ou de Warren Platner (Knoll)… Afin de poursuivre l’épopée mobilière au 21e siècle, la designer Pia Chevalier a conçu pour la résidence une collection de meubles d’appoint en acier patiné, détournés en chevet, des céramiques et autres objets décoratifs. Bref, une goûteuse destination où poursuivre dans le temps son voyage !

Aménagements et mobiliers ont été choisis avec soin pour s’intégrer parfaitement à ce nouveau lieu.
  • Maître d’ouvrage : EPI
  • Architecte : Chatillon Architectes
  • Photos : Valerio Geraci
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