RÉNOVATION SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

L’enVERRE du décor

Le 26 juin 1912, le siège de la Société Générale, fondée en 1864, quitte le 54-56 rue de Provence pour investir tout un îlot haussmannien rénové au pied du palais Garnier. Un siècle après, l’Atelier COS mène la restauration de ses façades (classées en 1977), puis la restructuration quasiment complète de ses 2 600 m2 qui s’achèvera en 2021. À la clé, la redécouverte scénarisée d’un chef-d’œuvre de l’architecture métallique.

Le siège historique de la Société Générale, 29 boulevard Haussmann.
Le bâtiment est une réalisation charnière de l’histoire de l’architecture parisienne du début du 20e siècle. DR

UN TRÉSOR BIEN GARDÉ

Quarante-deux ans après sa création, la Société Générale, première banque française, se trouve à l’étroit dans ses locaux originels de la rue de Provence. Elle jette donc son dévolu en 1906 sur un vaste ensemble immobilier de sept immeubles, construits entre 1867 et 1871 par Charles Rohault de Fleury, constituant l’îlot délimité par le boulevard Haussmann et les rues Halévy et Glück. Le conseil d’administration fait appel à l’architecte Jacques Hermant. Deuxième Grand Prix de Rome (1880), il a déjà signé plusieurs édifices bien connus des Parisiens : la caserne des Célestins de la Garde républicaine (1895), la salle Gaveau (1905) et la galerie des Champs-Élysées achevée en 1908. Après des débuts plutôt classiques, il se passionne pour les récentes innovations en matière de béton et se rapproche de l’École de Nancy.

Titanesque, le chantier dure six ans, les seules façades exté­rieures étant conservées. On peut quasiment parler de « façadisme ». Mais elles subiront quelques transformations : les devantures des commerces au rez-de-chaussée sont remplacées par 42 généreuses baies en plein cintre protégées par des grilles sur un soubassement en Comblanchien (pierre calcaire). L’entrée principale du 29 Haussmann est, quant à elle, magnifiée par un monumental pavillon en applique.

Mais le grand œuvre de Jacques Hermant va s’opérer à l’arrière de cette enveloppe bien sage face à l’éclectisme architectural de l’Opéra ! Démoli, l’ensemble des maçonneries et planchers d’origine est remplacé par une vaste armature d’acier et de béton armé, à commencer par les quatre niveaux de sous-sol devant accueillir les salles des coffres. « La présence de nappes d’eau souterraines a motivé l’emploi de bétons armés étanches pour la réalisation des ouvrages en infrastructure, précisent Didier Beautemps et Valeria Sanchez Rodriguez (Architecte du Patrimoine), les architectes d’Atelier COS. Réalisés par les établissements Sainrapt et Brice, ces systèmes de prémurs innovants prouvent leur efficacité lors de la crue de la Seine en 1910. »

Ceinturées d’acier, les salles des coffres sont commandées par une impressionnante porte cylindrique – 2,76 m de diamètre, 40 cm d’épaisseur de blindage et poids de 18 t – conçue par la maison Fichet. L’exploit se poursuit avec la spectaculaire coupole abritant le hall central ouvert sur quatre niveaux. « De forme trapézoïdale, la salle occupe l’essentiel du rez-de-chaussée, avec, en son centre, un grand guichet circulaire surnommé le “fromage“, décrivent les archives de la Société Générale. Dès 1919, une mezzanine créera un espace supplémentaire pour les employés. La pièce maîtresse du hall est la splendide coupole à pinacles qui la surplombe. S’élevant à 23 mètres du sol, elle est suspendue en toiture par une structure métallique à parapluie, composée d’un système autoportant de fins profils en acier. Le verre et le métal s’unissent harmonieusement pour fermer un espace tout en préservant l’éclairage zénithal. D’un diamètre de 18 mètres, la coupole présente un élégant dégradé de couleurs conçu par le maître verrier Jacques Galland. Elle est composée de 51 parties fuselées, disposées à partir d’une rosace centrale. (…) Le décor de ferronnerie est constitué de motifs de feuilles de chêne et de glands, l’ensemble étant délimité par une balustrade de fer forgé. Le pavement de mosaïques est l’œuvre des céramistes Alphonse Gentil et François Eugène Bourdet. Au sol, douze plaques de cuivre ajourées de ciselures purement décoratives couvrent les bouches d’aération et de chauffage. »

La spectaculaire coupole abritant le hall couvert. Photo : Jean-Marie Cras
Une structure en charpente métallique de type Eiffel. Photo : Jean-Marie Cras
DR

MÉTAMORPHOSE COS-MIQUE

Si la direction générale a récemment déménagé à La Défense, le siège social de la banque est resté 29 boulevard Haussmann. Appelé en 2017 pour remplacer toutes les fenêtres et persiennes de l’édifice, Atelier COS se voit confier la restauration des salles des coffres pour finalement être missionné pour son réaménagement complet. Les objectifs du commanditaire étaient d’y différencier, tout en les organisant, les flux des clients de l’agence centrale et ceux de la banque privée, des collaborateurs, des membres de la direction et du personnel d’entretien ; d’accueillir la clientèle de la banque privée au quatrième étage au lieu du premier pour lui offrir des espaces privilégiés avec vue inédite sur l’entre-deux de la double verrière ; de restructurer les plateaux de travail des 2e, 3e et 5e étages pour répondre aux nouvelles exigences en termes de flexibilité et d’usage (open space, espaces de réunion, fléxi-bureaux, connectivité…) ; enfin, d’en rénover les installations techniques. Le tout en sublimant le lieu !

La structure mise en œuvre en son temps par Jacques Hermant va faciliter le décloisonnement souhaité des plateaux dont plus de la moitié des bureaux de trois des étages supérieurs était desservie par une circulation ceinturant la coupole rendue invisible par des vitrages dépolis ou peints, voire des rangements ou locaux techniques. En fait, c’est un décor fantastique digne de Jules Verne que les architectes vont dévoiler aux utilisateurs et usagers, celui du conséquent volume contenu entre l’extrados de la coupole déco­rative et l’intrados de celle qui assure le clos et le couvert. Sous les arcs triangulés rayonnants que coiffe un lanterneau transparent, un réseau de passerelles métalliques, en parfait état et baignées de lumière, permet l’entretien des vitraux, vitrages, structures et installations techniques. Une fois les profils des parois vitrées périphériques redessinés dans l’esprit d’origine – mais conformes aux normes actuelles – et les ossatures d’acier déshabillées et ignifugées, les plateaux, désormais traversants, relient avec raffinement deux chefs-d’œuvre de la fin du 19e siècle.

  • Maître d’ouvrage : Société Générale
  • Architecte : Atelier COS
  • Entreprise serrurerie et menuiserie métallique : Dumez
Différencier et organiser les flux, offrir des espaces privilégiés avec vue. Doc. : Atelier COS
La rénovation porte également sur les nouvelles exigences en termes de flexibilité et d’usage.
Hormis les façades maçonnées, le reste des suprastructures, y compris la charpente des toitures, est réalisée en structures métalliques composées de plats assemblés par rivetage. Doc. : Atelier COS
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