PIERRE ENGEL

« L’architecture, il faut l’adorer ! 

Inclassable, touche-à-tout, électron libre ? Peu importe l’étiquette, Pierre Engel est avant tout un homme de l’acier. De Jean-Michel Wilmotte à Rem Koolhaas en passant par Renzo Piano, il travaille sur de nombreux projets en acier et mise sur l’impérieux et précieux dialogue entre ingénieur et architecte.

Ingénieur, ingénieur-conseil, maître d’ouvrage délégué, enseignant, auteur… Comment vous définissez-vous ?

Je suis surtout un personnage libre qui choisit ce qu’il fait et, parfois, ce que les autres ne veulent pas faire ! Je suis ingénieur et rien d’autre, au sens de Jean Prouvé : quelqu’un qui essaie de délivrer des solutions correspondant aux besoins. Le maître mot, c’est apporter une solution aux gens. J’ai eu la chance, tout au long de mon parcours, de diriger ou de participer à des programmes de recherches sur les constructions en acier, de pouvoir travailler aux côtés de grands professeurs, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui ont inventé de nouveaux concepts et marqué leur génération. Cela forme à voir plus loin. Je mets cette expérience au service de projets liés à l’utilisation de l’acier. L’ingénieur est formé pour servir, il n’a normalement pas d’égo ; il doit pouvoir répondre et quand il ne sait pas…
il n’est pas très utile. Ma vraie compétence, celle qui me guide, consiste à apporter un conseil. Et je crois qu’une des grandes problématiques pour les architectes consiste à pouvoir trouver la personne capable de leur apporter la réponse concrète à ce qu’ils ont imaginé sans parfois savoir si cela est réellement possible. Par exemple, nous l’expérimentons actuellement avec Jean-
Michel Wilmotte sur un projet où nous avons inventé deux nouveaux types de planchers avec une structure de 16 niveaux qui résiste au feu sans aucune protection contre l’incendie.

Justement, en tant qu’ingénieur-conseil, vous travaillez auprès d’architectes de renom sur des projets d’ampleur, tous liés à l’utilisation de l’acier.

Je fais parfois du conseil auprès des architectes célèbres ou moins connus, mais je ne travaille pas pour eux ! J’utilise mes connaissances et leur donne mon avis sur ce qui est en acier. L’architecture, c’est aussi un hobby personnel. Je conseille toujours à mes étudiants d’apprendre des références, non pour les copier, mais pour les comprendre. L’architecture, il faut l’adorer, jusque dans ses moindres détails. Pour Claude Vasconi
qui fut un ami, elle allait de « T comme Territoire
à P comme Poignée de porte ». Tout est dit.
Le plus intéressant en architecture est d’arriver
à comprendre le concept global, puis de déterminer comment le réaliser. L’architecte doit pouvoir compter sur l’ingénieur. Je fais de la maîtrise d’ouvrage déléguée : mon travail consiste à construire des bâtiments pour les autres. J’ai eu des collaborations exceptionnelles, mais pas seulement. Je connais très bien certains architectes, mais n’ai jamais travaillé avec eux. Et puis il y en a d’autres, comme Raphaël Viñoly, qui a construit le « crayon » sur Park Avenue à New York ou encore Walkie-Talkie à Londres, avec qui le rêve de travailler ensemble sur un projet en acier est partagé.

Pourquoi l’acier ?

Parce que je ne sais pas vraiment faire autre chose !
De mon CAP de charpentier fer jusqu’à mon doctorat, toutes mes études ont été centrées sur l’acier. Mais les études ne sont pas une fin en soi. La soudure, par exemple, est une des choses les plus essentielles que j’ai pu apprendre.
La construction, c’est pratique : si l’on ne sait pas anticiper, comprendre exactement ce que souhaite l’architecte, on se plante. Il m’arrive de dire, en plaisantant bien sûr, « vous savez, ici, le béton n’est pas la solution. Utilisez de l’acier ou faites du mixte, cela ira mieux ». Mais en l’affirmant, je suis parfois un peu tendancieux et, bien sûr, je me refuse de l’être. Concrètement, je peux démontrer en quoi l’acier est intéressant sur un point précis. Avec l’acier, rien n’est jamais définitivement écrit. Il est, par excellence, le matériau de l’innovation technologique constante tant dans les process que dans l’utilisation. Je suis toujours étonné
d’entendre certains prétendre encore que les aciers plats pour les enveloppes rouillent ou ne peuvent être perforés sans risque de corrosion.
Ce sont des visions d’il y a trente ou quarante ans ! Soyons simples : aujourd’hui, on peut quasiment tout faire avec l’acier, il suffit de le vouloir.