Édito

 PENSER LA MATIÈRE DE DEMAIN

Alors que le contexte sanitaire, politique, économique et environnemental de cette période connaît des bouleversements sans précédent, les nombreuses limites de notre système n’ont pas tardé à se manifester et à enrayer de nombreux secteurs d’activités, nous poussant ainsi à repenser nos modes de vie pour un avenir pérenne.

Dans cette situation incertaine et agitée, en tant qu’architecte, je suis en particulier touché par les enjeux concernant l’acte de construire et par la question de la matérialité et de la durabilité des projets.

Penser plus local en termes de ressources et de production non seulement pour le monde de la construction, mais aussi pour d’autres industries – comme l’agroalimentaire ou la mode par exemple – est une tendance qui s’affirme depuis plusieurs années, motivée par les problématiques liées à la crise climatique. De pair avec la mise en œuvre d’un cycle vertueux qui vise à valoriser et à optimiser la matière dans toutes ses formes – matière première, produit manufacturé ou déchet – et dans tous les programmes immobiliers, qu’il s’agisse de rénovation patrimoniale ou de réhabilitation lourde, de construction neuve ou de greffe architecturale.

Cette quête de la matière ne peut se faire sans prendre en compte les problématiques de réemploi et de réusage qui sont essentiels à notre pérennité de fonctionnement. « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme », disait le philosophe Antoine Lavoisier au 18e siècle. Ces notions influencent notre pratique quotidienne de l’architecture et pointent du doigt la responsabilité de l’architecte dans sa manière de concevoir.

Réutilisation de la matière issue des chantiers, conservation d’un maximum d’éléments architecturaux existants, quand cela est possible bien entendu, dans le cadre de rénovations et de transformations de l’existant. Poutres, plafonds, murs et toute partie pouvant être intégrée au nouveau plan sont conservés, permettant entre autres de donner du caractère à l’ensemble par le mélange de strates architecturales et d’éléments constructifs contemporains.

Dans ma pratique, j’essaie de plus en plus d’avoir un certain contrôle sur la production et l’élimination des déchets lors de la phase de chantier, aidé par la structuration de la filière dans ce sens. À l’agence, nous venons de mener un projet de design issu de la récupération d’une importante quantité d’aluminium d’un chantier, que nous avons fait fondre pour donner naissance à une gamme de poignées de porte, lesquelles pourront être utilisées dans plusieurs de nos réalisations. Le métal, ne l’oublions pas, a cela de merveilleux qu’il est recyclable à l’infini !

C’est donc dans une logique d’ouverture créative et de transversalité des métiers que je souhaite m’engager dans une démarche durable, vertueuse et authentique de la conduite des projets, qui va bien au-delà de l’obtention de certifications et de labels. Développer la recherche en design d’espace et de mobilier pour aborder chaque programme dans son ensemble est, pour moi, la clé pour y maîtriser le cycle de vie de la matière et aller dans le sens de la durabilité, permettant une économie de moyens et de matériaux (ainsi que financiers parfois) autrement peu réaliste et difficilement réalisable.

Cette voie s’inscrit parfaitement dans ma philosophie. Depuis mes débuts, en effet, j’essaie de tendre vers une esthétique intemporelle et utilise des matériaux de haute qualité et nobles (bois, pierre, métal, béton), durables par leur nature intrinsèque. C’est aussi cette exigence dans la sélection des matériaux constitutifs d’un projet qui en détermine la durabilité et peut permettre de préserver des ressources à l’avenir, durant la vie du bâtiment, ses futures transformations et affections.

Vincent Eschalier

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