JÉRÔME SCOFFONI

Haute technicité

Patron de l’entreprise CMBC, Jérôme Scoffoni fait le grand pari de la qualité et de la technicité de la construction métallique. Dans une authentique démarche de fabrication française.

Photo : M. Pedrotti

Quel est votre parcours professionnel ?

Je suis de formation X Ponts. Après une année d’études aux États-Unis, j’ai commencé dans l’administration comme le faisaient les ingénieurs du corps des Ponts par le passé. Maître d’ouvrage de construction de type autoroutier pendant trois ans dans les Hauts-de-Seine, et après un passage éclair dans le financement de projets à Bercy, j’ai été embauché par Eiffage en tant que conducteur de travaux où, pendant une dizaine d’années, j’ai gravi les échelons, conducteur de travaux de petits puis de gros chantiers, jusqu’à diriger une filiale en travaux maritimes et fluviaux. Et plus je fréquentais les entrepreneurs, plus j’avais envie d’en être un… En 2014, j’ai commencé à chercher activement une entreprise à reprendre, initialement dans des travaux de spécialité et – hasard des rencontres –, j’ai « atterri » dans un métier mainstream : la construction métallique ! Je me suis tourné vers CMBC qui, au regard de l’historique de l’entreprise fondée en 1958, des gens que j’y ai rencontrés et de son outil industriel, recelait un fort potentiel de développement. La reprise a eu lieu en 2015.

Quelles nouvelles orientations avez-vous données à l’entreprise ?

Assez rapidement, j’ai changé la stratégie de l’entreprise. Nous avons tout de suite arrêté les 2/8 et cessé de rechercher « le volume pour le volume » s’il n’y a pas de marge à la clé. Il nous fallait sortir de cette logique de volume pour aller vers celle de la qualité et de la technicité. D’abord, en trouvant d’autres clients qui ne voulaient pas forcément de la charpente simple et rapide. Pour y parvenir, nous sommes montés en compétence. En obtenant la certification EN-1090, nous avons acquis nos galons en classe d’exécution EXC3 puis EXC4 ; ce qui nous a ouvert la porte de nouveaux types de fabrications et de clients notamment dans le domaine du nucléaire avec le CEA, le site Iter Cadarache et les entreprises de génie civil spécialisées. Nous sommes également certifiés Cefri pour pouvoir travailler sous rayonnements ionisants. Aujourd’hui, nous partageons notre activité à 30 % dans le domaine du nucléaire et du paranucléaire, à 50 % dans les bâtiments plus classiques qui relèvent des marchés publics (ERP, aéroports, gymnases, centres techniques…), à 20 % pour le ferroviaire et de plus en plus de projets pour le Grand Paris. En fait, d’ici à 2022, 30 % de l’activité de CMBC sera concentrée à Paris. Sans renier le passé, nous continuerons à concevoir des bâtiments simples, à les faire bien et de manière compétitive, mais, face à la concurrence étrangère, ce n’est pas ce qui va nous distinguer. On essaie vraiment de se positionner dans une logique de technicité. Nous misons sur la qualification des équipes, des soudeurs, des ingénieurs. Nous avons renforcé le bureau d’études intégré pour maîtriser absolument la conception parce que la tentation est grande, de nos jours, de devenir un contractant général de la charpente. C’est sans doute rentable, mais ce n’est pas un business qui m’intéresse. Je tiens à rester une entreprise intégrée qui réalise elle-même. Après la reprise, nous avons mis deux ans à nous trouver, à définir une nouvelle stratégie. Nous sommes désormais bien stabilisés dans le quart sud-est, ce qui m’encourage à profiter de l’appel d’air énorme que suscite le Grand Paris. L’année prochaine, nous allons construire, pour Eiffage, la gare de Saint-Denis Pleyel de la ligne 16. Nous attendons également un marché important de site de remisage avec Vinci.

Comment avez-vous traversé la crise ?

Durant le confinement, j’ai encouragé les équipes à venir travailler dans les ateliers dans le respect, bien sûr, des règles sanitaires. Excepté le BE, pour lequel le télé­travail est assez facile à mettre en place. Nous avons tenu trois semaines avant de faire face à l’arrêt complet des chantiers. Sur la prise de commandes, si les six premiers mois de cette année ont été assez hésitants, notamment côté public, nous allons sans doute boucler une très bonne année 2021, liée notamment à l’épargne reportée du carnet de commandes. Au total, durant cette « période Covid », nous aurons perdu environ 15 % de notre chiffre d’affaires sans pour autant affecter la rentabilité.

À vos yeux, quel est l’avenir de la construction métallique ?

Très humblement, je ne fréquente pas suffisamment les cercles professionnels pour me permettre d’avoir un avis éclairé sur l’avenir de la construction métallique, mais je ne peux que constater que l’acier sera toujours le parent pauvre du béton en France. Quant à la réglementation, je ne suis pas convaincu qu’elle évolue favorablement dans le sens de la construction métallique. Les exigences de tenue au feu de plus en plus récurrentes ne sont pas vraiment de nature à faciliter le déploiement du métal. Je garde tout de même espoir que l’on puisse bénéficier des progrès technologiques pour continuer à fabriquer en France sans être condamné à pratiquer le dumping social en allant fabriquer en Europe du Sud. Le grand challenge de l’avenir pour les charpentiers consiste à savoir si l’on va se transformer en ingénierie de la construction métallique ou si l’on va pouvoir continuer à fabriquer nous-mêmes. Chez CMBC, avec quarante employés, nous restons « petits » parmi les gros. Je pense donc que j’arriverai toujours à trouver du travail de qualité pour les équipes. Mais si nous étions plusieurs centaines d’employés, je serais beaucoup plus inquiet. J’observe, en effet, cette grande tendance à privilégier l’ingénierie et à sous-traiter le reste. Actuellement, je regarde le marché à travers le prisme déformant du Grand Paris. Les gares étant principalement en métal, on a l’impression que ça booste, mais, pour l’avenir, je ne suis pas forcément convaincu. Qui plus est, la hausse de l’acier va inciter les gens à comparer avec le béton préfabriqué. Nous sommes dans une conjoncture qui ne rend pas évidentes les prévisions. Nous avons certes des atouts et l’on ne peut pas exclure un peu de patriotisme économique de la part d’un certain nombre de donneurs d’ordre exigeants. Ensuite, nous privilégions des clients qui se déplacent dans nos ateliers, soucieux de réceptionner en usine les ouvrages qu’ils nous confient et de vérifier la qualité de nos fabrications. Ces clients voient aussi un intérêt à avoir une entreprise de charpente à une heure de route de chez eux. Cette proximité géographique fait que l’on peut encore tirer son épingle du jeu. Le coût du travail va, de toute façon, progressivement remonter dans les pays du Sud. La question est de savoir à quelle vitesse… Il nous faut trouver des systèmes un peu plus automatisés dans la fabrication. La seule porte de sortie que j’imagine repose sur les certifications techniques. Certes, les concurrents étrangers savent parfaitement les intégrer, mais je crois quand même à cette barrière de la distance qui implique un intérêt à garder la main en France. Le fait de sous-traiter massivement, comme le font certaines majors, conduit à perdre la compétence, la capacité à juger ce qu’ils sous-traitent. Il y a un moment où l’on achète sans plus savoir ce que l’on acquiert. Et je suis convaincu qu’aucun de ces faiseurs n’a envie de perdre son œil critique sur ses achats. Il est impératif de pouvoir garder une part de la maîtrise du coût et du savoir-faire, soit via des partenaires français, soit en interne. J’ai cet espoir-là.

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