LES DEUX GIRAFES, PARIS

Tout en finesse

D’un délicat battement de cils, d’emblée, elle donne le ton. Couronnant l’entrée principale et comme réinterprétant les figures de boucherie chevaline, l’enseigne à tête de girafe intrigue par sa luminosité, son volume en trois dimensions et… ses cils animés ! Sur la rue, l’œuvre en fils d’acier salue chaque passage d’un clin d’œil doux, complice et malicieux. Bienvenue à l’hôtel Les Deux Girafes. Visite guidée.

Sise dans un petit passage typique du 11e arron­dissement parisien, cette ancienne fabri­que de meubles a été métamorphosée par Jérôme Roy, de l’agence AR Architecture, et Sandrine Legret et Philippe Janssens, de l’agence ITAKarchi­tectes, pour le design intérieur. Totalement reconstruit, cet établissement 4 étoiles est organisé autour d’un patio, petit paradis végétal, qui abrite en son sein quelque 34 chambres, toutes uniques. Si les propriétaires ont souhaité lui conférer un esprit atelier industriel en harmonie avec le rythme des façades en menuiserie acier, Sandrine Legret et Philippe Janssens ont joué, eux, la carte de la réinterprétation, mais sans redondance ni pastiche et sans tomber dans le piège « reconstitution » un peu trop à la mode. Ils ont, sans hésitation aucune, opté pour l’acier. Leur parti pris : dessiner le mobilier et certains accessoires tout en racontant une histoire. Une fois le seuil franchi, sous l’invite complice de la girafe, le visiteur pénètre l’espace de réception, découvre le patio, élément central de l’hôtel, et son îlot verdoyant de 200 m2. À sa gauche, un objet étrange, sorte de sculpture mécanique récupérée, singulière, organique…

UNE BANQUE D’ACCUEIL ENVELOPPANTE DE… 800 KILOS D’ACIER

Créée spécifiquement pour le lieu, la banque d’accueil intègre le bureau de la réception et tous les éléments techniques nécessaires. Toute une aventure pour cette pièce en acier brut ciré de quelque 800 kilos ! Après de nombreux croquis, tous plus différents les uns que les autres, l’objet a pris enfin forme selon les vœux des deux architectes et au fil des allers-retours fréquents dans l’atelier de l’artisan. L’objet en lui-même devait paraître légèrement autonome, comme déposé, mais suffisamment bien en place pour que le client l’identifie dès son entrée. Tout est soudé et découpé, pas un gabarit n’est identique à l’autre. L’axe de la pièce étant légèrement décalé, les petites lames qui semblent traverser les autres sont toutes distinctes. Un ouvrage considérable et minutieux pour un résultat étonnant : un poste d’accueil indépendant, jouant avec la lumière et enveloppant. À droite, le bar, un audacieux mélange entre un ancien comptoir de boucherie en zelliges et une structure acier à la patine savamment travaillée, surmonté d’une vitrine de cabinet de curio­sités de plus de 4 m de longueur.

L’ACIER DANS LES CHAMBRES, CHIC ET CHALEUREUX 

Les chambres, toutes dissemblables, sont néanmoins déclinées dans un style industriel chic et revisité. Pour y parvenir, les deux architectes ont pris le parti de dessiner les principaux meubles et certains accessoires traités de façon pratique, fonctionnelle et solide. De l’acier, dans une chambre d’hôtel ?
Pas vraiment évident… Un préjugé tenace que les architectes habitués à travailler ce matériau pour sa finesse balayent avec maestria. À partir d’un vestiaire années 1950, ceux-ci ont dessiné des armoires peu profondes, adaptées aux dimensions des chambres. Un miroir intégré à l’une des portes permet d’adoucir le côté massif du vestiaire métallique et de dégager un mur. Secret de fabrication de l’artisan, la patine du meuble en acier confère au mobilier une ligne résolument contemporaine et particulièrement chaleureuse. Petit bijou de modularité, le bureau, feuille d’acier pliée, est composé d’un caisson intégrant le minibar qui coulisse pour augmenter la longueur du meuble et d’un écritoire pivotant pour les chambres Deluxe.
Les tables de chevet reprennent le vocabulaire du bureau et offrent deux surfaces de pose. Afin de faciliter l’entretien et de libérer de l’espace, le mobilier est suspendu, accroché au mur comme des tableaux ou des objets exposés. La visite ne saurait être complète sans un salut appuyé à la paisible maîtresse du patio : œuvre unique d’artistes contemporains, toute en légèreté, une girafe de 5 m de hauteur, réalisée avec quelque 150 barres d’acier, dont le lumineux cœur rouge bat d’émotion à l’approche du visiteur.

Maîtrise d’ouvrage : privée
Architectes designers (mobilier et décoration) : Sandrine Legret et Philippe Janssens, ITAKarchitectes
Artisan : Metal Project
Enseigne et girafe du patio : Anathomie – « Fils animés d’émotions », d’Anna Golicz-Cottet et Olivier Thomas ; Stéphane Rozand

L’approche sensible

« Dès le démarrage du projet, nous avons choisi l’acier. Ce matériau nous permettait de travailler un mobilier en très faible épaisseur, mais très solide néanmoins grâce au pliage. Les meubles deviennent aériens. L’acier permet cette économie de matière. Alors que pour un meuble en bois, il faut une épaisseur de 3 ou 4 cm, en acier, une feuille pliée de 3 mm suffit pour un plateau de bureau. Cette différence change complètement les lignes. Les bureaux des chambres par exemple sont constitués d’une feuille continue, courbée, renforcée avec une simple pliure. Côté finition, lorsqu’il est brut de laminage, l’acier a une vraie profondeur, une texture, des teintes diverses qui varient avec la lumière ambiante. Autre qualité et non des moindres : il se patine. Plus l’acier vieillit, plus il est beau. Dans un hôtel qui vit au rythme des arrivées et des départs, les meubles sont heurtés, rayés, marqués de traces de verres… Avec un mobilier acier, nous n’avions aucune crainte. Grâce à la patine spécifique réalisée par l’artisan, il tient vraiment le choc ! Huit mois plus tard, nous avons un très bon retour des utilisateurs. » Sandrine Legret et Philippe Janssens, ITAKarchitectes

L’hôtel est organisé autour d’un patio qui abrite ses chambres et… une girafe de 5 m de hauteur réalisée avec pas moins de 150 barres d’acier. © C.Bielsa
La banque d’accueil est immédiatement identifiable par les visiteurs malgré sa singularité : une œuvre en acier brut ciré de près de 800 kilos. © O.Helbert
Le bar : ancien comptoir de boucherie en zelliges (élément décoratif en brique émaillée) et structure acier à la patine savamment travaillée. © 0.Helbert
Les chambres sont déclinées dans un style industriel chic et revisité. © C.Bielsa
Armoire conçue à partir d’un vestiaire années 1950 et son miroir intégré à l’une des portes. La patine artisanale du meuble en acier lui confère sa ligne résolument contemporaine et particulièrement chaleureuse. © O.Helbert
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