FLEURS SUR LA VILLE

Photo : Chartier-Corbasson
Photo : Chartier-Corbasson

Verdir l’architecture et la ville : hier, un rêve ; aujourd’hui, un objectif prioritaire. Longtemps ornement rapporté sur les bâtiments, la végétation devient un matériau à part entière. Son intégration réclame des dispositifs inédits empruntés à l’art des jardins, l’art contemporain. L’invention et l’ingéniosité sont sollicitées pour la création de ces ouvrages hybrides, où l’acier fait la courte échelle aux plantes parties à l’assaut des façades et des toitures. 

En photo : extension de la chambre régionale de commerce et d’industrie (CRCI) de Picardie, à Amiens ; architectes : Karine Chartier et Thomas Corbasson (voir p. 41). 

Exemple d’intégration du vivant à l’architecture, à Ivry-sur-Seine, le groupe scolaire Rosalind-Franklin des architectes Pascale Dalix et Frédéric Chartier. ©camillegharbi
Les architectes Philippon et Kalt ont imaginé une loggia entourée d’une maille métallique. ©Philippon Kalt

« Il faut construire les villes à la campagne car l’air y est plus pur », proclamait Alphonse Allais au début du 20e siècle. L’écrivain serait sans doute surpris de voir qu’un siècle plus tard, les citadins ont retourné sa proposition. Entamant un verdissement urbain tous azimuts, ils importent directement la campagne en ville. La ferme se fait urbaine, le maraîchage se pratique au bureau, et, hors de la dimension agricole productive, les forêts et les jardins se verticalisent, prairies et toundras s’épanouissent sur les toitures, la terrasse de l’école est buissonnière… Exit les voitures volantes et les cités tentaculaires sorties tout droit de Blade Runner : les images du futur urbain regorgent désormais de villes ployant sous la verdure. « Vert, une architecture », écrirait aujourd’hui un Le Corbusier autant féru de jardinage que de maçonnerie. 

LE VERT, DU PLAISANT À L’UTILE 

Pour être contemporaine, l’architecture doit se planter, perpétuant un rêve né dans les jardins de Babylone. Ce « songe de Poliphile » hante les architectures utopiques d’un Boullée, ou les architectures modernes des années 70 dégoulinantes de verdure, conciliant ces deux opposés qu’étaient la jungle des villes et la jungle tout court. La nouvelle vague verte débute à la fin des années 90, presque timidement, quand des sociétés développent des procédés industriels de végétalisation facilement applicables à un délaissé urbain oublié bien qu’omniprésent : la toiture-terrasse, livrée aux graviers et aux émergences techniques. Posé sur des substrats peu épais – on parle de système « intensif » –, plantes grasses et sédums prospèrent sans alourdir les structures non dimensionnées pour ce type d’usage. Plus délicate à mettre en oeuvre car plus sensible aux défauts d’irrigation, la végétalisation verticale suit, appliquée sur un autre délaissé urbain, le pignon aveugle. On ne le peint plus : on le cultive ! Le paysagiste Patrick Blanc se spécialise dans les parois végétales, faisant une démonstration spectaculaire de leur potentiel architectural au musée du Quai Branly de Jean Nouvel où ils réalisent un véritable « mur vivant » expressif, loin des pelouses rases comme des moquettes mises en oeuvre sur des bâtiments tels que le palais omnisports de Paris-Bercy. L’éthique et le fonctionnel dépassent vite l’esthétique. On ne cesse de découvrir des qualités et des avantages à ces ouvrages végétaux : leur rétention d’eau est d’abord mise en avant, puis leur capacité à lutter contre les îlots de chaleur, leur rôle dans la préservation de la biodiversité, voire leur comestibilité car la nature revient en ville avec sa campagne et ses agriculteurs. Sans parler de son rôle de brise-soleil, se déshabillant naturellement pour laisser passer la lumière l’hiver. Inscrite fréquemment dans les PLU, la végétalisation n’est quasiment plus une option. Elle est en passe de devenir un incontournable, à l’extérieur comme à l’intérieur, où elle s’invite de plus en plus régulièrement, entraînant la création d’ouvertures zénithales indispensables aux plantes. Un cercle vertueux : les humains ne méritent-ils pas autant la lumière naturelle que la flore ! 

PLANTER À LA VERTICALE OU À L’HORIZONTALE ? 

« Planterais-je le mur ou la terrasse ? », se demandera le concepteur souhaitant verdir son architecture. En réalité, les deux options sont complémentaires « du point de vue de la biodiversité, l’idéal est la création d’une connexion sol/mur/toiture établissant une continuité verte », explique l’architecte Pascale Dalix, dont l’agence, ChartierDalix, travaille à l’intégration du vivant à l’architecture. Un mur végétal aide les insectes à gravir des étages qu’ils n’arriveraient pas à franchir autrement, pour rejoindre, par exemple, les plantations disposées en toiture. Le vert peut partir depuis le sol, pousser à chaque étage ou descendre depuis les hauteurs. Tressé en filet, agencé en résille ou en superstructure façon cage, le métal est le support roi de la végétation verticalisée. Les mailles inoxydables des filets savent rester discrètes dans l’intervalle de temps qui sépare la paroi de son envahissement complet par des plantes grimpantes. En toiture, l’acier cède la place au béton lorsque le désir de planter une forêt sur le toit est le plus fort, impliquant des épaisseurs de terre conséquentes. Il reste pertinent avec les solutions de moindre épaisseur, estime Jacques Sebbag, architecte associé de l’agence Archi 5 : « La légèreté est une grande qualité de la structure métallique. Une caractéristique que l’on cherche à préserver en évitant de trop grandes surcharges en toiture : on ne place pas une enclume sur des talons aiguilles ! » Sur le lycée Marcel-Sembat à Sotteville-lès-Rouen, Archi 5 a planté en toiture une prairie sur une structure acier, afin d’inscrire l’établissement scolaire dans la continuité d’un parc. Déployées sous forme de lanière, les couvertures ondulent en pente douce. Ni verticale, ni horizontale, la figure intermédiaire du plan incliné induisant une complexité propre. À Sotteville, des cornières métalliques retiennent la terre. Une solution inopérante quand la pente s’accentue. « Notre projet d’extension de la CRCI (voir pages 38, 39, NDLR) d’Amiens comportait des parois très inclinées que l’on ne savait pas réaliser avec les systèmes existants. Nous avons cherché à verticaliser des systèmes horizontaux, avant de devoir développer une solution spécifique », explique Thomas Corbasson, architecte associé de l’agence Chartier-Corbasson. En l’occurrence, une superstructure métallique connectée à une structure mère acier par des potelets de fixation de ligne de vie. 

Tressé en filet, agencé en résille ou en superstructure façon cage, le métal est le support roi de la végétation verticalisée. Extension d’un transformateur électrique à Lyon-Confluence par l’agence rue royale architectes. ©Studio Éric Saillet
Photo : Studio Éric Saillet
Édifice remarquable, témoin architectural de l’Art nouveau des années 1900, l’hôtel Bouctot-Vagniez à Amiens bénéficie d’une extension conçue par l’agence Chartier-Corbasson qui abrite la chambre régionale de commerce et d’industrie de Picardie. ©Chartier-Corbasson
Cette ancienne usine de montres a été métamorphosée par l’architecte Kengo Kuma qui a imaginé un environnement directement inspiré de la nature. ©Fujitsuka Mitsumasa

UN DOMAINE D’INVENTION

La végétalisation des façades implique rapidement le développement de solutions sur mesure. On ne s’étonnera pas que l’art des jardins en fournisse une partie.

Le projet du Mobe, pour Muséum d’Orléans pour la Biodiversité et l’Environnement, de l’agence Joly & Loiret. ©Joly-Loiret


Imaginée par l’agence ChartierDalix, la gare La Courneuve Six Routes du Grand Paris sera revêtue d’une double paroi métallique perforée laissant pousser les plantes en son sein. ©Chartier-Dalix

Après la figure de l’espalier, que l’on peut retrouver dans les supports muraux pour les plantes grimpantes, la serre est une seconde option apportant en sus une dimension climatique. Philippe Dubus l’utilise dans un concours à Besançon pour recréer un milieu tropical guyanais aux portes du Jura ! La fonction culture — de végétaux — se double parfois d’une fonction culturelle et de loisir. Le projet de Coldefy et Associés installe un parc de loisirs sous serre, un « biodôme » sur la Côte d’Opale. L’utilisation de membrane légère en ETFE à la place du verre allège la structure. Mais la serre s’invite aussi dans le logement, venant concurrencer directement la toiture végétale. Après réhabilitation, l’immeuble Symbiose à Nantes sera doté d’une serre, une façon de ne pas surcharger les ouvrages porteurs existants sans se priver d’un espace d’agriculture urbaine. La serre, c’est aussi une culture constructive que revisitent les architectes Joly et Loiret sur la rénovation du Mobe à Orléans. « Nous avons beaucoup étudié les serres anglaises du 19e siècle, explique Serge Joly. Notre projet reprend leurs caractéristiques les plus marquantes : leurs structures peintes en blanc et leurs peaux d’écailles en verre. » Une serre verticale plantée, mais non chauffée, doublera la façade du musée actuel. Elle abritera les circulations. 

Parmi les raisons que l’on aurait de se réjouir du retour du vert en ville, il faudrait ajouter celle-ci : l’inventivité architecturale qui accompagne le végétal, et qui se base souvent sur le détournement de dispositifs existants. Pour leur projet d’écoquartier fluvial L’Île-Saint-Denis, les architectes Philippon et Kalt ont imaginé une loggia entourée d’une maille métallique, découpée ponctuellement d’une fenêtre en tôle offrant une respiration à l’habitant. Les architectes de l’agence Rue Royale utilisent les cages d’acier enfermant les gabions des murs de soutènement pour créer un écran autour d’un poste électrique à Lyon Confluence. Des bambous plantés en pied d’ouvrage traversent cette clôture diaphane, intégrant un ouvrage aussi indispensable que difficile à placer dans un secteur d’habitation. Autre ouvrage fonctionnel, la gare La Courneuve Six-Routes du Grand Paris, imaginée par ChartierDalix, sera revêtue d’une double paroi métallique perforée laissant pousser les plantes en son sein. La finition et les motifs du métal assureront l’aspect du bâtiment le temps que la nature prenne le dessus — n’a-t-elle pas toujours le dernier mot ? 

Photos : Fujitsuka Mitsumasa

LES BUREAUX DE LA COMPAGNIE ZHONGTAI À SHANGHAI, CHINE
UN STORE DE LIERRE ET D’INOX 

Un Z pour Zhongtai, nom de la société, un 58 pour le numéro de Fan Yu Road, l’adresse shanghaïenne de cette compagnie spécialisée dans l’éclairage. Les usines sont à Hangzhou, tandis que le bâtiment de Shanghai est une vitrine internationale dont l’organisation reflète les conceptions chinoises du travail par endroits. Cuisines, salles de sport, chambres dignes d’un cinq étoiles, le programme permet une vie en commun des employés au sein de l’entreprise. Le site est bordé par un parc ayant appartenu à la famille du politicien Sun Yat-sen. Le projet prolonge ce jardin, rompant avec l’esthétique clinquante des gratte-ciel voisins. En s’appuyant sur la structure des constructions édifiées précédemment sur le site, l’architecte Kengo Kuma reconstitue un environnement inspiré de la nature. Le visiteur ou l’employé accèdent à l’entreprise en passant à travers un patio toute hauteur, et se trouvent face à une cascade ruisselant sur des centaines de pièces de verre collées à la main, à la façon de briques. Une paroi végétale le sépare du vacarme de la rue : un « store de lierre », comme le définit l’architecte, aligne des rangées filantes de bacs cultivés accueillant des plantes grimpantes. Ils s’accrochent à une structure métallique portant un vitrage sur sa face arrière. Les bacs sont réalisés en inox poli miroir : leur réflexion combinée à la transparence du verre brouille les limites de la façade sur rue, qui apparaît comme un nuage vert flottant que percent des lumières à la nuit tombée. En journée, ils diffusent dans le hall une atmosphère de sous-bois ou de grotte emplie du fracas de la cascade, qualifiée de « chute du Niagara shanghaïenne » par la population locale. 

LE CARRÉ SAINT-HONORÉ À PARIS
TISSER SA TOILE 

Dans un immeuble de bureaux parisien en rénovation, une cour vide et minérale, un espace terne que le maître d’ouvrage pensait égayer par une mise en lumière. L’agence Archibuild a proposé d’opter plutôt pour une végétalisation, option paraissant de prime abord impossible car venant s’implanter au-dessus d’un complexe de toiture et verrières du restaurant d’entreprise. Inspiré par le travail de l’artiste Tomás Saraceno, François-Xavier Barade, architecte fondateur de l’agence Archibuild, a proposé un système de bacs aluminium suspendus. Le dispositif trace une toile d’araignée de câbles d’acier visible depuis les circulations et les espaces de travail. Joly et Philippe, entreprise spécialisée dans les remontées mécaniques, a posé la structure et réalisé toutes les pièces d’accastillage en acier. Une flèche de 60 cm semblait le maximum à l’architecte. Les platines de fixation des câbles sont reprises à l’intérieur du bâtiment par des poteaux métalliques doublant les poteaux existants, dont les capacités porteuses étaient difficiles à évaluer. L’utilisation d’un substrat mêlant terre, liège et polystyrène recyclé a permis d’alléger de 50 % le poids des jardinières posées sur les câbles prétendus. La paysagiste Cathy Vivies a alterné les essences vivaces et les essences annuelles, afin d’avoir un jardin variant avec les saisons tout en restant un minimum vert. Les plantes pérennes sont des essences grimpantes. Lors des travaux d’entretien saisonniers, les pousses sont arrachées des câbles que les architectes voulaient toujours perceptibles. Le réseau d’irrigation est doublé d’un réseau d’évacuation des eaux en surplus, passant dans des gouttières discrètement insérées en partie inférieure du complexe de plantation. 

EXTENSION DE LA CHAMBRE RÉGIONALE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE (CRCI) DE PICARDIE À AMIENS
LA COLLINE MAGIQUE 

À l’étroit dans l’hôtel particulier Bouctôt-Vagniez, la CRCI s’est agrandie en empiétant sur le parc de cette résidence Art nouveau. L’extension conçue par Karine Chartier et Thomas Corbasson renvoie explicitement à l’art des jardins, et aux « rocailles » visibles depuis les salons de l’hôtel. Plus qu’une architecture, une hortitecture, un bâtiment tumulus qui voit des baies vitrées surgir de ses pentes végétalisées. Les architectes ont développé un procédé permettant de suivre la topographie inclinée de la façade. Une structure acier recouverte de bacs acier reçoit l’isolation et l’étanchéité. Elle porte les potelets habituellement utilisés pour la mise en place des lignes de vie en toiture, détournés pour servir d’accroche à une structure secondaire en acier portant des solives tubulaires en aluminium. Ces dernières reçoivent les plantations, installées dans des panières en acier galvanisé. La difficulté venait des variations d’inclinaison de la façade. Un connecteur en acier spécialement dessiné pour le projet relie les tubes de solives, assurant une continuité malgré les changements de direction. Chaque pièce est pliée suivant un angle précis, déterminé après modélisation sur le logiciel Grasshopper. Une tolérance assez grande — de l’ordre de 5 cm — entre le noeud et le tube a donné une grande souplesse lors du montage. Initialement implanté suivant la trame verticale de la structure, le réseau d’irrigation a été déplacé pour alimenter les parties de la façade se trouvant hors des lignes de plus grandes pentes offrant un chemin naturel à l’eau. 

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