BRUNO JACQUEMIN

Prôner l’alliance

Ingénieur civil des Mines de Nancy, Bruno Jacquemin a rejoint l’Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M) en tant que délégué général en septembre 2020. Spécialiste des relations entre les entreprises, les pouvoirs publics et les territoires, il entend bien mettre son énergie et son enthousiasme au service d’une industrie et d’une filière essentielles dans la transition écologique.

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Quel est votre parcours ?

En sortant de l’école, j’ai d’abord créé, avec des amis, une société ayant pour activité l’organisation d’événements d’entreprises avec des montgolfières. Et nous avons réussi à mettre sur pied le Mondial Air Ballons en Lorraine, le plus grand rassemblement de montgolfières au monde, qui existe toujours. Durant ces trois années, j’ai appris le collectif, à travailler sur les enjeux de territoire et à faire travailler ensemble des gens très différents, comme les collectivités locales, les entreprises et les sportifs. J’ai rejoint, par la suite, le cabinet d’André Rossinot, à l’époque député-maire de Nancy, puis ministre de la Fonction publique, où je me suis occupé, pendant six ans, de développement économique et d’innovation dans une région, la Lorraine, marquée par la fin programmée de la sidérurgie et de l’indus­trie charbonnière. Après cette période ministérielle, j’ai rejoint le réseau des Chambres de commerce et d’industrie, en tant que directeur général de la CCI en Alsace avant de diriger celle du Loiret. J’ai quitté le réseau consulaire en 2015 pour une activité de consultant auprès de PME, de fonds d’investissement et de start-up, orientée vers la transformation digitale. J’y ai appris à travailler différemment, à privilégier la relation client et le service par rapport à l’industrie focalisée sur le produit. Mais il me manquait ce qui compte à mes yeux : avoir un impact large sur des secteurs à enjeux essentiels pour notre futur commun. J’ai rejoint A3M au moment où l’industrie se trouvait dans une situation très ambivalente. L’industrie sidérurgique et métallurgique a beaucoup décru ces trente dernières années.

Quel regard portez-vous justement sur ce déclin ?

Contrairement à nos voisins européens, nous avons perdu de la force de frappe sur l’appareil industriel. Mais on prend conscience aujourd’hui que cette industrie, notamment celle que représente A3M, minière, métallurgique, est finalement à la base de l’économie. Elle fournit en semi-produits la totalité des industries en aval, aéronautique, automobile, construction, ferroviaire, nucléaire, de la défense, de l’agroalimentaire : il n’y a quasiment pas d’industrie d’où les métaux sont absents. C’est une industrie à haute valeur ajoutée. Négligée, elle a été fragilisée, en termes de compétitivité et de capacité d’innovation. Mais la crise liée à la Covid-19 a donné lieu à une prise de conscience de notre dépendance vis-à-vis des sources d’approvisionnement dans des pays à bas coûts économiques certes, mais aussi humains et environnementaux. Pour notre économie, maîtriser les sources d’approvisionnement en métaux en particulier dans sa chaîne de valeur devient absolument prioritaire. Cette prise de conscience constitue une formidable chance. Une chance pour A3M de pouvoir positionner la filière mine et métallurgie sur ce champ, enjeu majeur de notre industrie.

Si l’on peut parler d’un retour en grâce de l’industrie, celle-ci se heurte tout de même à la question de la transition écologique. Comment pouvez-vous y répondre ?

Notre position est très claire : beaucoup voient notre industrie comme un des problèmes de la transition écologique. Nous pensons, au contraire, qu’elle fait partie de la solution. C’est sur ce sujet que nous aimerions pouvoir enclencher des échanges avec l’ensemble des parties prenantes de notre société, en particulier, les écologistes et les ONG. On peut comprendre qu’une société qui exploite trop les richesses d’une terre unique soit conduite à réfléchir à ses enjeux de consommation. Bien sûr, mais dans tous les scénarios, on voit bien que la mise en œuvre de cette transition passe nécessairement par le besoin croissant en métaux et ne peut se faire sans notre industrie. Les industriels l’ont bien compris. Ils ont parfois l’impression que le discours ambiant vise à éradiquer une partie de leurs activités.
C’est le cas de l’activité minière notamment, mal perçue dans notre pays, essentiellement par méconnaissance de ce qu’elle est réellement. Depuis 50 ans, notre industrie a fait d’immenses progrès. Pourquoi continuer à la juger à l’aune d’une époque révolue ? Sidérurgie ou métallurgie, notre industrie est extrêmement encadrée, avec des règles environnementales particulièrement contraignantes. Et c’est très bien ! Nous avons une excellente maîtrise des risques environnementaux. D’un point de vue global, on peut considérer qu’elle n’est plus polluante. En revanche, elle est terriblement émettrice de gaz à effet de serre. Est-ce de la pollution ? Je ne crois pas, mais certains font l’amalgame, il nous faut donc faire preuve de pédagogie.

Comment faire justement ?

Faire valoir les qualités intrinsèques de notre industrie et les chantiers sur lesquels elle s’est engagée. Je pense à la décarbonation avec ArcelorMittal, un des leaders de la sidérurgie, qui annonce sa neutralité carbone à l’horizon 2050. Le groupe donne le signe d’une transformation à l’œuvre dans la sidérurgie mondiale où l’on va modifier un process qui existe depuis la nuit des temps. On remplace schématiquement le carbone par de l’hydrogène et l’on coproduira de l’eau à la place du CO2. Cette évolution-là est enthousiasmante, pleine d’innovations ! Bien sûr, le chemin est long, mais c’est un engagement tout à fait exceptionnel et qui mériterait, du point de vue de l’attractivité des métiers, des talents et de la jeunesse, que l’on s’y intéresse vraiment. Rappelons aussi que l’industrie métallurgique et sidérurgique est, depuis toujours, une industrie de recycleurs. La matière première utilisée est souvent de la matière première secondaire. Qui le sait ? C’est un enjeu pour le futur avec les besoins en métaux qui vont s’accroître. Nous devrions même avoir les écologistes pour alliés.
Car il s’agit de mieux maîtriser nos approvisionnements, de développer des innovations sur le recyclage pour fournir des alliages de haute performance et donc développer la vitalité des territoires qui vont générer des emplois. C’est tout l’effet gagnant de la réindustrialisation autour du recyclage. Il est impératif, désormais, de travailler beaucoup plus en écosystème et à l’échelle européenne. Il nous faut expliquer, ne pas avoir peur de la confrontation et tendre la main. Nous sommes une industrie d’ingénieurs, de scientifiques. À l’heure où la science est un peu battue en brèche, où l’on confond opinion et réalité scientifique, il est temps de revenir à des réalités opérationnelles plus concrètes.

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