Usine SOMEFLU de Courtry
Une nouvelle dimension pour le réemploi de matériaux et la construction durable
La construction industrielle franchit une nouvelle étape avec une première européenne portée par le Groupe Lockroy, spécialiste de la gestion de projets immobiliers et de la construction clé en main : la réalisation d’une charpente composée d’aciers réemployés et issus de plusieurs sites. À Courtry, en Seine-et-Marne, SOMEFLU, fabricant français de pompes centrifuges anticorrosives, a ainsi confié à Lockroy Construction, contractant général du Groupe Lockroy, la réalisation d’un site industriel de 3 600 m². Une prouesse technique, mais surtout, un tournant culturel pour la conception de la charpente d’un nouveau genre qui pourrait redéfinir les standards de la construction durable.
« Nous voulons une usine inédite, au service de la transition écologique. » Formulée par le maître d’ouvrage, Alexandre Lacour, dirigeant de SOMEFLU, la demande ne pouvait pas être plus claire. « Si, à l’époque, nous souhaitions nous appuyer avant tout sur les pratiques vertueuses existantes, le projet nous a amenés à découvrir un territoire nouveau et à tracer un chemin inédit pour l’ensemble du secteur, se souvient Louis Jacquet, associé et directeur général du Groupe Lockroy. En créant une charpente à partir d’aciers réemployés et issus de divers sites, les acteurs impliqués sur le projet ont réussi à repousser les frontières du réemploi. »
L’acier, matériau circulaire par excellence
La conception du bâtiment a notamment débuté par l’identification des différents matériaux écarbonés (réemployés, biosourcés, recyclés…) associés à des méthodes vertueuses de gestion du bâtiment (récupération des eaux de pluie, gestion technique du bâtiment et maquette numérique… ) nécessaires à la réalisation d’un projet ambitieux. L’ensemble des choix opérés ont entraîné de véritables défis d’ordre réglementaire, technique mais aussi financier. Concernant la charpente de l’usine, il a d’abord été question d’avoir recours « classiquement » soit au bois soit à l’acier bas carbone. Mais Lockroy a proposé de tester une nouvelle méthode, jamais explorée jusqu’ici à cette échelle : construire une charpente composée majoritairement d’aciers issus du réemploi multisources. Le réemploi multisources consiste à utiliser à nouveau un matériau, pour le même usage que celui pour lequel il a été conçu, en faisant appel à des filières variées (ici, provenant de chantiers de déconstruction de différents ouvrages).
La démarche porte une idée simple mais radicale : donner plusieurs vies à la matière. Les poutres et profilés proviennent entre autres des installations provisoires de la Samaritaine à Paris et de la tour Trinity à La Défense. Démontés, contrôlés, requalifiés et réassemblés, ces aciers trouvent une seconde fonction dans un bâtiment industriel flambant neuf. Ce réemploi multisources, inédit à l’échelle européenne, s’appuie sur une chaîne complète de compétences françaises. Les sociétés Locapal, Tortoise et Metalinov unissent leurs savoir-faire pour identifier les gisements, caractériser les aciers, concevoir et monter la structure finale. Sous la supervision du Centre technique industriel de la construction métallique (CTICM), le projet contribue à tester et valider le nouveau référentiel national du réemploi d’acier structurel.
« La boucle du réemploi que nous mettons en place repose sur une véritable ingénierie de projet, explique Louis Jacquet. Il ne s’agit pas simplement de réutiliser un matériau, mais de repenser la manière dont nous concevons et gérons la ressource métallique. »
Une démonstration technique et organisationnelle
Si l’idée de construire en réemploi multisources paraît aujourd’hui naturelle, sa mise en œuvre à l’échelle industrielle reste complexe. L’enjeu n’est pas uniquement technique, il est organisationnel. Il suppose une traçabilité totale de chaque acier, une maîtrise de la qualité et une coordination précise entre tous les intervenants. Lockroy et ses partenaires démontrent que cette exigence est compatible avec les contraintes économiques et temporelles d’un projet industriel. Pour SOMEFLU, cette approche répond à une ambition claire : construire une usine exemplaire, sobre et performante. L’ensemble du bâtiment s’inscrit dans une logique d’économie circulaire : matériaux bas carbone, solutions biosourcées, gestion optimisée de l’eau et de l’énergie, choix d’équipements réemployés. En effet, au-delà du défi qu’a représenté la mise en œuvre d’une charpente métallique de réemploi, 30 % des matériaux mis en œuvre pour les aménagements intérieurs de l’usine, des bureaux et des locaux sociaux ont été choisis pour leurs vertus (issus du réemploi, biosourcés, recyclés). L’usine a par ailleurs été pensée autour de solutions innovantes, comme la récupération des eaux de pluie ou la mise en œuvre d’un BIM d’exploitation, développé à partir de la maquette numérique pour assure la traçabilité et la continuité des données tout au long du cycle de vie du bâtiment. Associé à la GTB (gestion technique de bâtiment), qui en exploite les informations pour piloter et optimiser les performances techniques, cet ensemble constitue une véritable plateforme de gestion intelligente du bâtiment. Chaque décision contribue ainsi à réduire l’empreinte environnementale du bâtiment tout en garantissant la fiabilité et la pérennité du site.
Une économie de carbone mesurable
Les résultats sont significatifs. Grâce à l’intégration de 75 tonnes d’acier de réemploi et de 25 % d’acier bas carbone, le chantier atteint une économie de 150 kg de CO₂ par mètre carré, soit plus de 540 tonnes évitées sur l’ensemble de l’usine. Ces performances, mesurées et vérifiées, montrent que le réemploi n’est pas une expérimentation marginale mais un levier concret de décarbonation. Le projet illustre également la capacité du tissu industriel français à innover collectivement. En reliant des aciers issus de chantiers emblématiques à un site industriel de nouvelle génération, Lockroy crée une continuité physique et symbolique : la matière se transmet, évolue et se transforme au lieu d’être détruite.
Vers une nouvelle culture du bâtiment
Au-delà de la prouesse technique, le projet de Courtry ouvre une perspective plus large : celle d’un changement de paradigme dans la construction. La question n’est plus de savoir si le réemploi est possible, mais comment l’intégrer durablement aux pratiques courantes. « Pas de construction durable sans filière de réemploi », insiste Louis Jacquet. Nous appelons à une structuration nationale, à un cadre réglementaire et fiscal qui reconnaisse le réemploi comme une innovation à part entière. Ne démolissons plus : déconstruisons. »
Et le Groupe Lockroy n’en est pas à son premier essai : en effet, les équipes de Lockroy Construction viennent de livrer un immeuble de bureaux de 6 000 m² en R+2 intégralement réaliser en charpente métallique, illustrant la capacité des ouvrages en charpente métallique à être une parfaite alternative technique (surtout) financière aux méthodes traditionnelles comme le béton, tout en garantissant, à l’avenir, la capacité à réemployer (à l’infini !) les aciers.
Responsable du Pôle Transition écologique & Décarbonation du CTICM
Le premier référentiel pour le réemploi d’éléments structuraux en acier
Le développement du réemploi dans la construction est primordial, mais la pratique doit être encadrée, en particulier pour les éléments structuraux. À cette fin, le Centre technique industriel de la construction métallique (CTICM) a édité en juin 2024 le document « Recommandations professionnelles – réemploi d’éléments structuraux en acier ». Il s’agit du premier référentiel sur le réemploi en France, toutes filières construction confondues. Celles-ci définissent une procédure rigoureuse de requalification des éléments métalliques et visent à garantir que les propriétés essentielles des produits de réemploi sont équivalentes à celles des produits neufs du même type. Ces recommandations couvrent plusieurs aspects, notamment la sélection, le démontage, la traçabilité, et la requalification des éléments structuraux en acier.
Maître d’ouvrage : SOMEFLU
Maître d’œuvre : Serau et Ravillon Zimmerman (architectes)/ Locroy Construction
Photo : Sixte Labouche

