THE GREENARY, LA MAISON DE FRANCESCO MUTTI À MONTECHIARUGOLO

Villa « agriculturelle »

Avec 200 000 tonnes de tomates – produites principalement en Émilie-Romagne, dans la plaine du Pô – et mises en conserve, l’entreprise familiale Mutti SPA est le leader italien du secteur. Son P-DG, Francesco Mutti, développe à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Parme un vaste campus agro-industriel comprenant une usine, un complexe cantine et restaurant, un parc ainsi que sa propre résidence réinvestissant une ferme hameau rénovée par les architectes Carlo Ratti et Italo Rota.

Construit à partir d’une ferme italienne traditionnelle située à l’extérieur de la ville de Parme, The Greenary met en œuvre des structures et menuiseries en acier autopatinable à la perfection minimaliste.

UN CONTEXTE EXPÉRIMENTAL

Soucieux de protéger la biodiversité du territoire tout en la célébrant, ce campus compte fusionner nature, agriculture, recherche et architecture. À l’issue d’un concours international, son commanditaire a retenu le binôme constitué par deux prestigieux architectes italiens, auteurs du pavillon de l’Italie à l’Expo 2020 Dubaï. Ce bâtiment explore sur 3 500 m2 l’économie circulaire avec sa façade en rideau de corde recyclant deux millions de bouteilles en plastique et son air purifié via des algues. Né en 1953 à Milan où il fait ses études au Polytecnico, Italo Rota travaille chez Franco
Albini, puis Vittorio Gregotti, deux grands maîtres de l’archi­tecture transalpine. Il séjourne, ensuite, une dizaine d’années en France, durant lesquelles il reconvertit avec Gae Aulenti la gare d’Orsay en musée, puis rentre dans sa ville natale où il va enseigner les avant-gardes du 20e siècle et ouvrir sa nouvelle agence. Architecte turinois de 50 ans, Carlo Ratti est aussi ingénieur diplômé de l’École des ponts et chaussées parisienne. Enseignant au MIT, son Senseable City Lab fait des recherches sur la ville et les nouvelles techno­logies. Son agence, ouverte à Turin en 2002, prône « une vision compréhensive et réactive de son environnement ». Lauréats du schéma directeur du campus, puis de l’usine, ils se voient confier par Francesco Mutti la conception de la résidence qu’il prévoit d’installer dans une ferme hameau de 2,5 ha située sur le site. Villa rurale contemporaine devant s’inscrire dans la philosophie biotechnologique du complexe, on ne peut s’empêcher de penser à une sorte d’emblématique transposition à l’ère du dérèglement climatique des célèbres villas construites au 16e siècle par Andrea Palladio sur les domaines agricoles de la noblesse vénitienne !

REVISITER LES AVANT-GARDES

Il s’agit de deux corps parallèles séparés par une cour dont le principal au sud fait l’objet d’une extension, tandis que la grange du second – son vis-à-vis septentrional – est restructurée. L’extension fait référence à la théorie du Raumplan1 d’Adolf Loos, plus connu pour avoir décrété qu’en matière d’architecture, l’ornementation était un crime ! « Je ne conçois pas de plan, de façades ou de vues en coupe, je conçois des espaces », théorisait-il. La hauteur de ces derniers se définissait selon la nature et la destination des lieux à créer. Clairement définis, ils ne se juxtaposaient pas, mais s’enchaînaient de sorte qu’ils puissent se regarder l’un l’autre. L’objectif principal des ouvertures étant l’apport de lumière et le cadrage des vues, leur rôle dans la composition des façades n’était que secondaire. Le projet de l’intérieur primant donc sur celui de l’extérieur ! Précisant l’ambiance, matériaux, modénature, textures et couleurs concourraient à donner son sens au lieu. « Le revêtement est l’élément qui donne à cet espace une enveloppe adaptée et accueillante. » S’inscrivant dans la morphologie des fermes émiliennes, le volume greffé au corps de logis méridional déploie ses espaces ouverts autour d’un gigantesque Ficus australis âgé de 60 ans et dénommé Alma – seule variété nécessitant des températures stables toute l’année et donc adaptée à un environnement intérieur. Pour ce faire, les architectes ont dessiné une paroi vitrée de 10 m de hauteur décomposée en ouvrants à la française dans son tiers inférieur et en un vaste châssis à guillotine dans ses deux tiers supérieurs.
En effet, il importe que l’arbre bénéficie d’un apport suffisant de lumière solaire, d’une ventilation et d’un taux d’humidité contrôlée tout en étant compatible avec les conditions des humains y vivant. Des fenêtres de toit, elles aussi motorisées, complètent le dispositif. « Carlo Scarpa a dit un jour : “Entre un arbre et une maison, choisissez l’arbre.“ Bien que je partage son sentiment, je pense que nous pouvions aller plus loin et mettre les deux ensemble, souligne Carlo Ratti. The Greenary2, le grenier vert, répond à l’idée de biophilie, une hypothèse scientifique proposée par le célèbre biologiste et professeur de Harvard Edward Osborne Wilson, qui suggère que les êtres humains partagent un désir inné de vivre près de la nature. » La nature est également incorporée sous d’autres formes dans tout l’espace intérieur, tels les revêtements de sol comprenant de la terre et des écorces d’orange.

Plusieurs pièces d’habitation entourent les branches feuillues de l’arbre, jusqu’à sa cime.
La résidence se compose de sept espaces en terrasse, dont trois au-dessus de l’entrée et trois en dessous.
The Greenary est construit autour d’un ficus de dix mètres de hauteur.
La ferme italienne traditionnelle a été repensée pour présenter de nouvelles approches visant à estomper les frontières entre le naturel et l’artificiel.

PERFECTION MINIMALISTE

Mais la filiation avec Carlo Scarpa est bien davantage évidente au travers de la mise en œuvre des structures et menuiseries acier – ici, en acier autopatinable – dont la perfection minimaliste des dessins évoque celle du maître vénitien pour les serrureries du musée d’Antonio Canova à Possagno qu’il construisit en 1957. L’acier autopatinable constitue également l’ensemble des emmarchements et des volées d’escalier – suspendues aux lames des garde-corps – desservant les sept niveaux de l’extension aux destinations bien spécifiques. En contrebas d’un mètre de l’entrée depuis la cour, la zone jour assied les invités à sa grande table en bois brut sur piètements métal juste à hauteur de vue de la prairie léchant la baie vitrée et trois marches en surplomb de la cuisine, avant la cave où vins et jambons s’affinent. Une tôle pliée en marches et contremarches conduit aux « espaces » supérieurs où écouter de la musique, lire, faire du yoga ou travailler ! Le pignon à l’est affirme avec le métal le passage du toit à deux pentes à une seule. Devant la grange arrière, un vaste auvent menuisé en acier avec couverture végétalisée offre une terrasse ombragée particulièrement fraîche aux heures les plus chaudes de l’été. Le rez-de-chaussée et l’étage – traversé par un grand atrium serti d’acier et protégé par un filet – sont destinés à accueillir des réunions de travail, des réceptions et autres activités collectives.

Alma, un ficus géant de 60 ans, se dresse au milieu de l’espace de vie.
L’acier autopatinable constitue également l’ensemble des emmarche­ments et des volées d’escalier suspendus aux lames des garde-corps et desservant les sept niveaux de l’extension.
  • Maître d’ouvrage : Mutti SPA
  • Architectes : Carlo Ratti et Italo Rota
  • Paysagiste : Paolo Pejrone
  • Photos : Delfino Sisto Legnani & Alessandro Saletta-DSL Studio
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