RÉNOVATION DU MUSÉE CARNAVALET, PARIS, FRANCE

À la recherche du Paris perdu…

Premier au monde à être dédié à l’histoire d’une ville, le musée Carnavalet, conçu dès son ouverture, en 1880, comme un décor, « s’offre, selon sa directrice, Valérie Guillaume, une nouvelle scénographie globale pour poursuivre sa mission :  être le théâtre de l’histoire de Paris ». À ses côtés, fées et magiciens : la scénographe Nathalie Crinière et les architectes François Chatillon et Snøhetta.

Photo : Cyrille Weiner
Quatre années d’importants travaux ont été nécessaires pour magnifier le bâtiment, redécouvrir son architecture, le mettre aux normes, améliorer son accessibilité et l’expérience du visiteur, dans un seul et unique but : « Tout renouveler, sans rien changer. » Photo : Antoine Mercusot

RÉVOLUTION(S) DE PALAIS

L’ensemble architectural lui servant de cadre est un mille-feuille historique à la limite du palimpseste, à l’image de son contenu. En 1560, Jacques de Ligneris fait construire son hôtel dans le Marais (au n° 23 de l’actuelle rue de Sévigné). Avec la Cour carrée du Louvre, il constitue l’un des rares témoins de l’architecture de la Renaissance dans la capitale. Vendu 18 ans plus tard à Françoise de La Baume, il devient l’hôtel de Carnavalet, nom francisé de son époux breton le chevalier François de Kernevenoy. En 1660, François Mansart surélève son porche et lui ajoute deux ailes. Madame de Sévigné y séjourne de 1677 à 1694. En 1866, le baron Haussmann le fait acheter par la Ville de Paris pour y créer le musée d’Histoire de la capitale. Cette première mondiale des plus innovantes a pour mission de sauvegarder une partie du patrimoine de la ville que le préfet restructure alors en profondeur. L’agrandissement sur la rue des Francs-Bourgeois va ainsi intégrer à son architecture l’arc de Nazareth (1556) – provenant de l’enceinte du Palais de Justice – qui va lui servir de porche monumental, le pavillon des Marchands Drapiers, bâti en 1660 rue des déchargeurs dans les Halles, occupant désormais le centre de l’aile longeant la rue Payenne et l’avant-corps central de l’hôtel des Marêts (ou Choiseul) – érigé en 1660 rue Neuve Saint-Augustin et démoli pour percer la rue du Quatre-Septembre – dorénavant encadré d’une galerie sur arcades. Mais ce « réemploi mémoriel » concerne aussi des statues comme celle de Louis XIV en pied par Antoine Coysevox au centre de la cour d’honneur et des décors récupérés lors de la démolition de belles demeures et de palais parisiens (ou de leur rénovation) avant d’être remontés à Carnavalet tels des « period rooms », tant prisées des conservateurs et commissaires d’expositions actuels ! Ainsi, le salon de l’hôtel Colbert de Villacerf (1650) côtoie-t-il le Café militaire ouvert en 1762 rue Saint-Honoré et décoré par le jeune… Claude-Nicolas Ledoux. Tous deux sont « exposés » au premier étage auquel on accède par un majestueux escalier spécialement dessiné pour supporter la spectaculaire fresque en trompe-l’œil couronnant auparavant l’escalier d’apparat de l’hôtel de Luynes. Inauguré en 1880, le musée Carnavalet archivait déjà des dizaines de milliers de pièces traitant d’ethnographie, d’archéologie, d’architecture, des Beaux-Arts, de linguistique, d’arts décoratifs, de traditions populaires… L’hôtel originel ayant été classé au titre des Monuments historiques dès 1846, l’ensemble, lui, sera inscrit en 1984. Poursuivant avec « voraCité » son œuvre de conservatoire éclectique, le musée annexe, en 1989, l’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, voisin mais non mitoyen puisque les deux entités sont séparées par le pavillon d’entrée du lycée Victor-Hugo dont la galerie du premier étage reliera alors les deux hôtels. Malgré toutes ces « annexions », ce musée – trop – riche de 625 000 œuvres dont à peine plus de 3 000 jusqu’alors exposées avait, hélas, fini par prendre des allures de capharnaüm dédalesque. L’heure de sa rénovation sonna en 2015.

La rénovation place le visiteur au cœur du projet. Photo : Antoine Mercusot
Un musée plus accessible, au parcours de visite repensé. Photo : Pierre Antoine
L’un des trois audacieux escaliers hélicoïdaux en acier sombre. Photo : Antoine Mercusot

CLARIFICATION DU MUSÉE ET DU PARCOURS… DU COMBATTANT

L’équipe de maîtrise d’œuvre, à savoir l’architecte en chef des Monuments historiques François Chatillon (mandataire), le cabinet d’architecture norvégien Snøhetta et l’Agence Nathalie Crinière pour la scénographie, a été sélectionnée sur une note méthodologique, le projet scientifique n’étant pas alors arrêté ni le recollement des œuvres achevé.
« Développé par boucles itératives, l’accord-cadre a permis d’approfondir les objectifs : valoriser le site, l’ouvrir sur les alentours, rendre accessible, relier les connaissances, réorganiser les fonctionnalités, adapter aux usages, accueillir chaleureusement tous les publics », précise Valérie Guillaume. Nécessitant cinq ans de fermeture, ce chantier de rénovation « partielle » a démarré par une année de curetage complet qui autorisa, entre autres, l’exploitation des anciens celliers en sous-sol de l’hôtel de Carnavalet moyennant 70 cm de décaissement et la reprise de leur étanchéité depuis les cours. Long de 1,5 km, le nouveau parcours, désormais chronologique, y débute avec une pirogue du néolithique.
De forme organique, trois audacieux escaliers hélicoïdaux en acier sombre – balancés sans fût central – rationnalisent les liaisons verticales. « Ils sont portés par une poutre-caisson en plats métalliques avec raidisseurs intérieurs en tôle, se prolongeant sur toute la longueur des paliers. Les tôles latérales de la poutre-caisson se prolongent pour former garde-corps. Les marches et contremarches métalliques formant support pour l’habillage bois. Vient s’ajouter un double cours de mains courantes débillardées en acier inox, soudées face intérieure des garde-corps par l’intermédiaire de platines soudées espacées de façon homogène. Les escaliers ont été livrés sur site par éléments à souder sur place. » L’un d’eux débouche sur la salle de bal de l’hôtel du grand sidérurgiste lorrain Maurice de Wendel, au décor peint en1925 par José Maria Sert sur une fine feuille d’electrum, alliage d’or et d’argent.

Les escaliers ont été livrés sur site par éléments à souder sur place. Doc. : Chatillon Architectes
Photo : Antoine Mercusot
Doc. : Chatillon Architectes

PARIS EN VITRINES

3 800 œuvres sont dorénavant exposées grâce à 184 vitrines (au lieu de 40) menuisées sur mesure en acier thermolaqué, plus sain que le bois dégageant du CO2 avec le temps. Devant satisfaire à de multiples contraintes (étanchéité, hygrométrie, sécurité, éclairage), leur sophistication conceptuelle et technique fut extrême. Intégrant l’ensemble du câblage, leurs fins piètements creux (50 x 50 mm) sont venus se connecter avec précision aux alimentations incorporées aux planchers. La protection rapprochée des œuvres (PRO) dont la transmission en temps réel des données au PC sécurité devant s’opérer hors des vitrines risquant d’être transformées par les ondes radio en cage de Faraday. Un tiroir en sous-face équipé d’une cassette de Silica-Gel assure un système climatique passif. Fabriqués en Allemagne et livrés en kit, tous ces mobiliers muséographiques ont été réassemblés sur place. Pari(s) réussi(s) !

  • Maître d’ouvrage : Ville de Paris
  • Maîtres d’œuvre : Chatillon Architectes, Snøhetta, Agence Nathalie Crinière
  • BET : Igrec Ingénierie
  • Vitrines : Reier
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