OLIVIER VASSART

Repenser la construction

Sur un marché de la construction en demande de changement, Olivier Vassart, CEO d’ArcelorMittal Steligence®, propose une vision inédite de la conception des bâtiments. En encourageant la collaboration entre les différentes spécialités au sein des professions de l’architecture, de l’ingénierie, cette approche holistique de l’acier dans la construction vient bouleverser la donne. Retour sur la genèse du concept Steligence® et les nouveaux défis d’une filière en pleine mutation, entre hybridation des matériaux, automatisation et économie circulaire.

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Quel est votre parcours ?

Je suis ingénieur de l’École polytechnique en Belgique avec une spécialisation en construction et en environnement. J’ai débuté en 2002 au centre de recherche d’Esch-sur-Alzette, au Luxembourg, chez Arbed (devenue plus tard ArcelorMittal). J’ai travaillé en recherche appliquée sur l’utilisation de l’acier dans la construction pendant 12-13 ans. J’ai également obtenu un doctorat à Polytech Clermont-Ferrand sur la résistance au feu des structures métalliques, ma première spécialité technique. Durant ces années de recherche, j’ai également aidé les bureaux d’études et cabinets d’architecture à calculer la résistance au feu des bâtiments et j’ai été impliqué dans l’élaboration des normes, notamment en tant que chairman de l’Eurocode 1 pour la résistance au feu des bâtiments. En 2015, j’ai rejoint le comité de direction de la R&D d’ArcelorMittal, pour être en charge de l’entièreté des produits longs (structures, palplanches, barres à béton ; mais aussi produits longs automobiles comme les pièces, barres et fils pour suspensions, pistons de moteurs, ressorts…). En 2016, j’ai également pris en charge la partie produits plats construction. Parallèlement, j’enseigne la construction métallique et mixte à l’École Polytechnique de Louvain, en Belgique, aux jeunes ingénieurs en construction et architectes, ce qui me permet de garder un pied sur terre et de rester connecté à la nouvelle génération.

Vous êtes aujourd’hui le CEO d’ArcelorMittal Steligence®. Quelle est la genèse de ce concept ?

Le concept Steligence® est né d’un changement de vision de la R&D, passant d’une organisation par ligne de produits (longs, plats) à une organisation par marché, en se concentrant sur le marché de la construction (bâtiments, ponts, halls industriels, infrastructures…). L’objectif vise à offrir une approche holistique, fournissant l’ensemble des produits métalliques nécessaires à un bâtiment, des fondations aux structures en passant par l’enveloppe jusqu’aux systèmes de ventilation, de partition interne, ou encore de réseau d’eau et de sprinklage. Le groupe a lancé Steligence® au niveau business et développement de marché en 2018, s’inspirant du concept d’ingénieur résident de l’automobile où des ingénieurs ArcelorMittal travaillent quotidiennement avec les concepteurs automobiles. Adapté au marché de la construction, Steligence® positionne des ingénieurs résidents dans des zones géographiques, initialement en Europe, pour aider les concepteurs de bâtiments à optimiser les constructions en acier. L’équipe compte une petite centaine de collaborateurs, dont de nombreuses personnes impliquées dans le support et la production. Leur rôle est d’aider les concepteurs à choisir le bon acier et à combiner les matériaux pour optimiser les bâtiments, en utilisant le meilleur acier ou matériau à la bonne place. Ils aident également les clients que sont les constructeurs métalliques à optimiser le sourcing et la logistique, à faire de la préfabrication et à augmenter leur capacité de production, contribuant ainsi au développement et à la performance du marché de la construction métallique.

Quel est l’impact de cette approche sur le marché ?

Steligence® vise à travailler en amont avec les concepteurs pour optimiser les bâtiments en acier dès la phase de conception, afin de surmonter la « culture béton » qui prédomine et qui conçoit des bâtiments non optimisés pour l’acier. Au début, il a été difficile de faire bouger les lignes, mais dès que les acteurs ont compris la valeur du concept, tout s’est enchaîné rapidement. Les relations avec les acteurs du marché ont évolué : de nombreux clients reviennent d’eux-mêmes pour de nouveaux projets. Certains se sont même formés à l’acier et ne contactent Steligence® que pour la partie business et livraison, témoignant d’une autonomie croissante dans la conception. Le concept est passé au niveau mondial en 2023, permettant des relations globales avec les très grands acteurs du bâtiment. Aujourd’hui, de grands corporates et investisseurs immobiliers approchent ArcelorMittal, motivés par l’impact environnemental des bâtiments (notamment la RE 2020 en France et des réglementations similaires ailleurs) et la centralisation des décisions de construction. L’acier présente en effet un avantage significatif par rapport au béton en termes de CO2 nécessaire à la construction. La capacité de Steligence® à discuter avec de grands corporates comme les grands investisseurs immobiliers et les géants de la tech qui possèdent un parc immobilier énorme et cherchent à optimiser et standardiser leurs bâtiments, a considérablement augmenté sa masse critique et a constitué une des raisons de son expansion au niveau mondial. Steligence® livre, par exemple, des bâtiments en Australie depuis l’Europe, grâce à ses aciers XCarb® de sources recyclées et renouvelables. Ces aciers ont l’impact environnemental le plus faible au monde, ce qui permet d’optimiser des bâtiments bien au-delà des frontières européennes.

Quels sont les prochains défis de Steligence® ?

Les trois grandes tendances de développement de Steligence® sur le marché de la construction acier concernent le développement des structures hybrides acier-bois, l’automatisation de la construction métallique avec des lignes de production robotisées similaires à celles de l’industrie automobile et, enfin, le design pour l’optimisation de la fin de vie des bâtiments. Dans cette optique, il faut nécessairement prendre en compte les défis réglementaires liés à l’optimisation de la fin de vie des bâtiments. Actuellement, la RE 2020 est principalement axée sur un CO2 minimum à la construction, les bénéfices liés au recyclage ou à la réutilisation en fin de vie sont fortement sous-estimés. Ses seuils pour 2030 ne sont pas atteignables avec les méthodes de construction actuelles, même avec des bétons bas carbone. Cela implique la nécessité de revoir entièrement la façon de concevoir les bâtiments. Et puis, il faut garder en ligne de mire la poursuite de l’optimisation de l’empreinte environnementale de l’acier et des bâtiments en acier.

Comment assurer un avenir pour la filière ?

Si en tant que CEO d’ArcelorMittal Steligence®, je reste très impliqué sur le terrain en interagissant personnellement avec les majors pour faciliter les discussions en participant également à la formation des jeunes membres de mon équipe, je reste très investi dans la vie académique. Je donne ainsi des cours à l’université de Louvain et anime des séminaires dans différentes universités à travers le monde. Le but : attirer les jeunes vers la filière acier. Il faut savoir que dès le début de mes études, j’ai été moi-même motivé par un intérêt personnel pour le matériau. J’y ai consacré ma thèse de master sur les treillis en acier. Il est donc essentiel pour moi, et je considère que c’est une responsabilité, de rendre l’acier attractif pour la nouvelle génération.