Nicolas Michelin

Ordinaire extra

Auteur du ministère de la Défense à Balard et de l’opération urbaine des Bassins à flot à Bordeaux, Nicolas Michelin s’est très librement exprimé, au travers de plusieurs livres, sur sa pratique au quotidien de l’architecture et de l’urbanisme, structurée autour de huit thématiques dont la « défense » assumée contribue à sa posture de résistant.

À l’image de l’architecture qu’il produit, sa carrière – singulière et plurielle – relève de « l’ordinaire extra », tout du moins à ses propres yeux. Bien qu’ayant un père architecte, il démarre par des études universitaires en mathématiques et physique avant de s’orienter vers l’architecture. Durant ces dernières, il gagne sa vie en enseignant le dessin et la peinture à l’école municipale d’art de Rueil-Malmaison. Tout juste diplômé, il en devient en 1980 le directeur jusqu’à son agrément en 2001 comme École d’Art par le ministère de la Culture qui lui confie alors la direction de l’école d’architecture de Versailles. Entretemps, Nicolas Michelin s’est associé à son confrère allemand Finn Geipel pour créer en 1985 LabFac. Leur collaboration s’achève avec le siècle et l’avènement de sa nouvelle agence A/NM/A. Onze ans plus tard, l’irrésistible montée en puissance de A/NM/A l’oblige, à renoncer à ses activités pédagogiques versaillaises qui l’avaient conduit, entre autres, à y fonder le centre d’art contemporain de La Maréchalerie. Et puis…

Photo : Julien Lanoo

Pourquoi avoir choisi de quitter A/NM/A ?

A/NM/A est l’agence que j’ai créée et à laquelle j’ai associé Michel Delplace et Cyril Trétout. En 2020, juste après le confinement du Covid, j’ai décidé de quitter l’agence – départ que j’avais préparé – transmise à mes associés. Auparavant, nous avions fait entrer cinq nouveaux associés, sélectionnés parmi les salariés de l’agence qui avaient candidaté, avec distribution d’actions. Et je suis vraiment parti. J’ai juste gardé trois affaires d’urbanisme qu’il me tenait à cœur de terminer. Il s’agit des Bassins à flot à Bordeaux – mon grand travail d’urbaniste –, les Gratte Ciel à Villeurbanne que j’avais initiés et dont le travail avec les élus m’a passionné et le devenir de la friche Cataroux – ancien site Michelin à Clermont-Ferrand – où on a un tout petit contrat. Je les traite désormais en tant que Studio MAÉ aux côtés d’ANMA – dénomination désormais privée de ses slashs – qui en reste l’architecte en titre. Pourquoi ai-je pris cette décision ? C’est un peu difficile à faire mais, en fait, je pense qu’un architecte apprend assez vite et fait ainsi des choses innovantes, brillantes. Après, il maîtrise ce qu’il sait faire mais a tendance à se répéter tant en urbanisme qu’en architecture. Et moi, je ne voulais pas tomber dans cette routine. J’avais envie de me renouveler, d’où ce challenge d’ouvrir une toute petite agence pour faire des choses écologiques, m’appliquer à ne faire que des projets que j’estime bons pour la planète, tout du moins le moins nuisibles pour elle. Disons essayer de faire des choses avec une exigence extrêmement forte qu’on ne peut pas avoir avec des promoteurs. La promotion est faite de telle sorte que cela se termine trop souvent au rabais parce qu’il faut qu’elle soit rentable, que le logement sorte au prix le plus bas possible et, si vous dites « non », le promoteur vous met dehors ! A/NM/A arrivait à tenir la qualité mais cela était difficile. J’ai donc voulu me renouveler et reprendre à des échelles beaucoup plus petites, plus expérimentales. Studio MAÉ n’a embauché personne mais ne produisant pas moi-même sous Autocad – j’ai toujours tout dessiné personnellement à la main – quand je décroche une affaire je m’associe à d’anciens salariés d’A/NM/A qui ont monté leur propre agence – EXP pour des maisons, Hame sur deux autres projets. Cela m’a aussi permis de faire un peu de conseil. J’ai ainsi gagné le concours pour devenir architecte-conseil de la ville de Lyon. C’est un poste intéressant parce que vous voyez tous les permis et il ne vous a pas échappé que le maire de Lyon est un écologiste. Ce challenge-là m’intéresse beaucoup : qu’est-ce qu’on fait quand on est le maire écologiste d’une grande ville comme Lyon où il y a un lobby de la voiture, une forte demande de construire ? C’est très compliqué pour eux. Je travaille beaucoup avec le maire adjoint à l’urbanisme, Raphaël Michaud, et je n’ai vraiment rencontré, pour l’instant, le maire Grégory Doucet que deux ou trois fois. J’ai toujours dit que l’architecture est un travail politique, on ne peut pas faire ce métier si on n’a pas une opinion, un idéal. Nous ne sommes pas juste des exécutants, nous sommes écoresponsables ! De ce poste, j’ai un regard complètement détaché sur les projets que je vois ! On encourage une forme d’excellence, mes confrères m’appellent pour avoir des conseils… J’aime aussi ce rapport politique aux choses. Comment argumenter autour du biosourcé, de la RE2020, du recyclage ? Le béton tout comme le métal sont ainsi mis à mal. Construire tout en bois est très intéressant. Je reste toutefois persuadé que le métal et le béton ont encore un avenir mais pas dans n’importe quelles conditions. Le 100 % bois est une aberration, il ne faut pas faire travailler le bois là où il ne sait pas faire. Du coup on invente des murs en bois (CLT) bourré de colles et très difficile à redécouper ultérieurement contrairement à un voile béton ! Il y a tellement d’autres choses possibles. Ce sont les élus qui se sont engouffrés dans le tout bois sans trop savoir ce que cela impliquait. Maintenant les pompiers voudraient qu’on l’encoffre. Et même si je suis à nouveau bien occupé avec tout cela, il me reste encore suffisamment de temps pour écrire un peu – j’ai toujours aimé écrire – et j’ai un nouveau projet en tête.

Pourrions-nous évoquer la légèreté économique que vous préconisez ?

Batiserf avait un excellent ingénieur, Pierre Bisotto, aujourd’hui à la retraite, qui disait souvent qu’il faudrait peser les bâtiments. C’est loin d’être idiot quand on voit la quantité de matériaux que l’on dépense pour édifier un bâtiment. Souvent on s’aperçoit qu’ils sont lourds car on a eu la paresse de mettre du béton partout, les voiles porteurs étant prétendument plus simples. On revient un peu dessus désormais car on cherche à diminuer le recours au béton dans les opérations, mais prescrire du CLT dans tous les sens n’est guère mieux ! Une des qualités principales d’un projet devrait être d’utiliser peu de matière pour le construire. Et la légèreté d’une construction concourt souvent à son économie. En favorisant l’évolution des usages à l’intérieur dans le temps, les bâtiments légers avec peu de points porteurs incarnent une forme d’économie. Qui plus est, c’est beau la légèreté. On a beaucoup travaillé sur ce sujet au sein de LabFac ; avec Finn Geipel, nous cherchions à enlever un maximum de matière, c’était notre obsession. L’école d’art de Limoges est un manifeste pour l’acier, Finn Geipel était, tout comme moi, un grand fan du métal. Il y avait là une forme de légèreté absolue.

Vous avez eu très tôt recours à l’acier dans votre production, à commencer par Limoges.

En effet, Limoges date de 1991. C’est sans doute un projet que nous ne pourrions plus faire aujourd’hui car tout en avait été dessiné, calepiné, des vis aux colliers tenant les gaines. Cela a été le premier chantier à l’agence de Michel Delplace ! Il a encore dans la tête toutes les cotes du projet. C’était un éloge à l’acier avec une infime partie béton. Mêmes les menuiseries sont en acier (Mannesmann ou Forster), c’est stable, fin… et puis c’est beau !

Quelles sont les opérations illustrant le mieux votre intérêt pour l’acier ?

Il y a, bien sûr, la bibliothèque de Strasbourg. On y a ouvert cette coupole – non pas ronde mais carrée – jusqu’alors inaccessible, pour faire descendre la lumière jusqu’en bas. On a tout cassé et on a dessiné un escalier en spirale suspendu dont les câbles, partant du dôme, doivent être étrécis à un moment pour engendrer la tension nécessaire pour soutenir l’ouvrage. Plus exactement, les volées portent de plancher à plancher mais ce sont les câbles qui les stabilisent et tiennent les rambardes. Ce que j’aime dans ce dessin-là c’est que là-haut on a un carré et on passe – via deux bagues rondes – à un cercle. On ne sait jamais à quel moment on perd vraiment l’angle du carré ! C’est une forme infinie avec des angles arrondis. On voit au travers à chaque étage. Et tout y est en acier hormis les plateaux de marches. C’est un ouvrage de métallerie digne d’un chef-d’œuvre réalisé par une excellente entreprise. À Nancy, la galerie d’Artem constitue un espace fantastique. Nous avons gagné ce concours devant Herzog & de Meuron, Dominique Perrault, Rem Koolhaas et le regretté Ciriani. Les poteaux en harpe sont incroyables et il y a un puits canadien dessous pour le ventiler. C’est présent mais relativement discret parce que c’est à l’échelle. Il y a aussi l’escalier central tout en métal de l’École des Mines avec des poteaux très serrés comme une lyre. A/NM/A a d’ailleurs conçu beaucoup de très beaux escaliers ! Il faut citer le centre dramatique de Tours dans une parcelle finalement assez étroite où nous sommes parvenus à faire rentrer tout le programme. Le maire trouvait que le chantier traînait jusqu’au moment où la charpente acier a été posée en quelques jours avant que les planchers préfabriqués en béton précontraint y prennent place au millimètre près entre les poutrelles, une fois la chape coulée. Le théâtre de Chatenay-Malabry est un beau projet mixte acier + plâtre, les nervures de la salle sont métalliques avec remplissage en bois, un clapet s’ouvrant au sommet de la voûte pour faire rentrer le jour naturel durant les répétitions. Plus récente, la Maison de l’Île-de-France a fait le choix d’un volume interclimatique audacieux, avec deux énormes cuves (hautes de quatre étages) de stockage de l’eau, chauffée par des capteurs solaires, en façade au-dessus du périphérique, comme un immense radiateur qui a de quoi perturber les automobilistes, j’en conviens, avant d’en découvrir les façades latérales. Mais ce projet a été plusieurs fois primé. Ayant acquis la halle Cataroux de l’îlot O23 de l’usine Michelin de Clermont-Ferrand, Franck Dondainas – fondateur du groupe Quartus (2016) – me sollicite il y a cinq-six ans. Je descends sur place avec mes associés et il nous montre cette halle qu’un de nos confrères clermontois projetait de raser à l’exception de deux travées : un bâtiment d’environ 300 mètres de long par 100 mètres de large et de 6 à 10 mètres de haut, toute en sheds métalliques conçus dans l’esprit d’économie Michelin, où tout participe aux efforts afin d’épargner de la matière. Après l’avoir visitée, nous lui déclarons « nous, nous gardons tout ! ». On lui a proposé de construire tout son programme (logements, résidence étudiants, bureaux) par-dessus, avec six immeubles sur des poteaux traversant la halle, avec, en dessous, deux travées dédiées à 200 places de parking sur deux niveaux, d’un côté et, de l’autre, les entrées des immeubles. Au milieu, une grande allée avec en rez-de-chaussée, les locaux poussettes, vélos, des petits espaces de coworking, des patios plantés et des mezzanines qui engendreront l’interclimatique. Le projet est toujours en cours d’étude. Aux Bassins à flot, j’ai mis des bardages métalliques partout – parfois très nervurés, parfois très doux, très serrés, prélaqués – posés sur un isolant : cela vous donne une façade qui est pérenne ! Mis à part son bilan CO2 plutôt moyen, c’est un excellent produit architectural ! L’acier est vraiment un matériau passionnant pour un architecte : il s’assemble, tout se dessine mais reste visible, on peut le tirer, le pousser… Tout le monde parle des Halles de Baltard mais il faut aller voir l’église Saint-Augustin qu’il a conçue, sans aucun arc-boutant !

0