Lumière, lumières !

Matériau de l’architecture, la lumière naturelle s’impose comme un élément fondamental dans le processus de conception. Favorisant les grands volumes et la transparence, l’acier libère les façades de matériaux pleins au profit d’une exposition totale des espaces intérieurs. Tantôt il la reflète, tantôt il la dessine, reconsidérant ainsi la place de l’ombre et des protections solaires à l’heure des dérèglements climatiques.

La Fondation Beyeler, Renzo Piano Building Workshop, architects in association with Burckhardt + Partner AG, Basel. Photo : Christian Richters/Renzo Piano BWA
La Fondation Cartier à Paris, Ateliers Jean Nouvel. Photo : Luc Boegly
Doc. : Piano, Renzo

« Il m’est impossible de penser la lumière sans l’objet qui la fabrique, qui la porte, qui la sollicite », formulait l’architecte Henri Gaudi en 1991, évoquant ainsi le lien indéfectible qui existe entre lumière et architecture. Depuis l’art roman jusqu’à l’architecture de verre, les concepteurs raisonnent à partir de la lumière naturelle. Sans jamais complètement la contrôler, ils l’enrobent, la dessinent et jouent sur ses nuances en fonction du temps et de l’espace qu’elle façonne. Traversante, ombragée ou réfléchissante, la lumière révèle aussi le matériau acier qu’elle frappe et qu’elle colore modifiant ainsi sa perception au fil des saisons. « Composer avec l’acier, c’est travailler sur le côté immatériel de l’architecture, le vide, la légèreté avec le moins de poteaux possible et le plus d’ouverture », témoigne l’architecte Stéphanie Bru, cofondatrice de l’agence Bruther.

ARCHITECTURE ACIER, ARCHITECTURE LUMIÈRE

Capable de supporter de lourdes charges tout en couvrant, avec des sections réduites, des portées immenses, l’acier se révèle dès le 19e siècle comme un matériau favorisant les grands volumes et la transparence. Rigide et léger, il permet de construire plus haut. Fin et résistant, il autorise l’ouverture des façades des bâtiments en les libérant de leur structure porteuse.

L’hôtel Barrière Le Fouquet’s Paris. Doc. : Vous Êtes Ici/11H45

« L’acier a apporté la capacité de choisir entre une façade avec des trous ou bien complètement ouverte », confirme Bernard Paule, directeur associé et membre fondateur de l’École supérieure des technologies industrielles avancées (ESTIA). À l’image de la Glass House que l’architecte Philip Johnson livrait déjà en 1949 à New Canaan dans le Connecticut, à partir d’une simple structure d’acier venant supporter des vitres, et remplaçant les traditionnels murs pleins.
Véritable architecture du vide, l’acier favorise ainsi l’effacement des frontières entre espaces intérieurs et extérieurs. « Associé au verre pour l’enveloppe, l’acier libère la façade de matériaux pleins au profit d’une transparence entière de l’ouvrage », renchérit Bernard Paule. S’inscrivant dans le prolongement du paysage, les limites tangibles de l’édifice s’estompent au profit d’une lecture en profondeur de l’ouvrage et d’une exposition totale des espaces intérieurs, comme en témoignent l’extension de la Fondation Beyeler à Bâle, que Renzo Piano achevait en 1997, et la Fondation Cartier à Paris, imaginée par Jean Nouvel en 1994. Ce dernier projet prend racine sur un site où la nature domine, et où la marque de l’homme doit rester ténue. L’architecte propose ainsi une structure d’acier et une enveloppe de verre pour réaliser le bâtiment, qui reflète autant qu’il révèle le jardin luxuriant et le cèdre de Chateaubriand qui l’entourent.

L’usine Aplix au Cellier, en Loire-Atlantique, Dominique Perrault. Photo : Georges Fessy/Dominique Perrault Architecture/ADAGP

L’ACIER FAÇONNE LA LUMIÈRE

Si l’acier se fait fin en structure, il peut également disparaître en façade miroir lorsqu’il s’agit d’un acier inoxydable posé en panneaux, jouant sur son intégration contextuelle. À l’instar de l’usine Aplix, véritable chef-d’œuvre de l’architecture minimaliste livré par Dominique Perrault en 1999 le long de la nationale 23, au Cellier en Loire-Atlantique. Composée de clins verticaux d’inox emboîtés, la façade de l’édifice offre un jeu de reflets singuliers où lumière et environnement naturels se confondent. Récompensée en 2001 comme « meilleur bâtiment industriel du monde » par le World Architecture Festival and Awards, l’usine étonne notamment par sa pérennité et la permanence de l’éclat de son miroir d’inox. Matériau contemporain, l’inox trouve aussi sa place dans des projets de réhabilitation du patrimoine ancien pour apporter une impression d’agrandissement des espaces par un travail de diffusion de la lumière naturelle. L’hôtel Barrière Le Fouquet’s Paris, notamment, a vu sa cour dédoublée grâce à un mur miroir fait de panneaux assemblés en acier inoxydable, imaginé par l’agence Vous Êtes Ici.
Si la cour est immobile, l’installation de 18 m de hauteur renvoie une image en évolution perpétuelle de son environnement patrimonial, de ceux qui l’observent et d’elle-même. « Travailler avec la lumière, c’est voir les textures et les reflets des matériaux se transformer à son contact », confirme Stéphanie Bru en référence à la Cité internationale universitaire de Paris particulièrement, qui est conçue comme un ensemble compact en structure mixte béton/métal profitant d’une large vue sur l’extérieur, mais avec la contrainte de la proximité avec le boulevard périphérique. Le pignon nord de la façade donnant sur l’axe routier a ainsi été habillé d’un bardage métallique foncé en acier inoxydable pour isoler le bâtiment. « Nous avons voulu faire du périphérique un ami à travers une scénarisation de ce flux pour les gens qui habitent là, précise l’architecte, à la fois par la transparence du verre et par la réflexion permise par l’inox. »

DE LA LUMIÈRE À L’OMBRE

Le rapport à la lumière, c’est aussi celui à l’ombre, selon les chercheurs Bernard Paule et Céline Drozd, d’autant plus en période de changement climatique. « Il est nécessaire de reconsidérer la place de l’ombre dans l’architecture », insiste Céline Drozd, enseignante et ingénieure de recherche pour le Laboratoire Ambiances Architectures Urbanités. Une réflexion que mène notamment Francis Soler qui, pour le ministère de la Culture, sur le bâtiment des Bons-Enfants, rue Saint-Honoré à Paris, conçoit en façade une résille en plaques d’acier inoxydable, découpées au laser. À la fois garde-corps de tout l’édifice et protection solaire, elle découpe et dessine la lumière qui pénètre dans le bâtiment, favorisant ainsi les jeux d’ombre dans les espaces intérieurs.
Si la lumière « constitue la matière première » du projet, selon l’architecte, l’intervention sur le bâtiment a aussi pour intérêt de « rester fidèle à [son] évolution patrimoniale et à la vocation pluraliste du ministère de la Culture », traduisant ainsi une dynamique dans le temps et l’espace. « Ces doubles peaux sont très intéressantes d’un point de vue technique, soutient Céline Drozd, mais la lumière étant dynamique, chaque façade demande un traitement particulier. » Un argu­ment également porté par Bernard Paule qui estime que ces protections doivent pouvoir s’adapter aux changements de température au fil des saisons. « C’est comme si le bâtiment revêtait un manteau en hiver et se découvrait en été », détaille-t-il. Des considérations relatives au confort des espaces intérieurs sur lequel travaille notamment Anne Démians lorsqu’elle livre l’immeuble de loge­ments Oressence, aussi appelé M9D4, dans le 13e arron­dissement parisien. Afin d’harmoniser espaces privé et public, l’architecte y applique une mantille métallique dorée, composée de panneaux mobiles perforés en quinconce. Ils contribuent à la fois à la protection de l’édifice des hautes températures ou, au contraire, à son ouverture au soleil en hiver, tout en se faisant le régulateur de l’intimité des habitants. La lumière qui pénètre dans les espaces intérieurs est alors modulable, tout comme le sont l’ambiance ou le climat. De l’aveu de l’architecte dans sa présentation du projet, c’est tout l’objectif du programme à sa livraison : « Fixer une structure simple qui autorise l’évolution du plan et l’ajustement des surfaces de l’immeuble », répondant ainsi aux différents cycles de vie du bâtiment. Et Céline Drozd de confirmer : « Il est aujourd’hui plus ambitieux de chercher des solutions dans les formes architecturales qui permettent de répondre à un contexte particulier, plutôt que de rajouter des systèmes électroniques moins durables et plus contraignants pour les usagers. »

La Cité internationale universitaire, agence Bruther. Photo : Maxime Delvaux
La Maison de la recherche et de l’imagination, agence Bruther. Photo : Philippe Dujardin
L’immeuble Oressence, Anne Démians. Photo : Pierre-Olivier Deschamps

LES BONS-ENFANTS À PARIS
Jeux d’ombre et de lumière

C’est à l’architecte Francis Soler qu’est confiée la lourde mission de restructurer les bureaux du ministère de la Culture pour une livraison en 2004. Jusque-là dispersé, l’ensemble des espaces de travail est regroupé en deux bâtiments distincts. L’un, côté rue Saint-Honoré, construit par Georges Vaudoyer en 1919 pour les réserves des grands magasins du Louvre, l’autre, côté rue Montesquieu, conçu par Olivier Lahalle en 1960 pour l’extension des bureaux du ministère des Finances. La partie visible du projet se situe notamment en façade des bâtiments, où les architectes décident d’apposer une seconde peau métallique à la fois pour retrouver une cohérence entre les deux ensembles et laisser transparaître la diversité du bâti existant, donc par
là même, rester fidèle à l’évolution patrimoniale du bâti. Cette légère résille d’acier crée ainsi des jeux d’ombre et de lumière rendant les espaces intérieurs singuliers et préservés d’une lumière naturelle trop vive en période estivale.

Photo : Laure Vasconi
Photo : Georges Fessy
Photo : Laure Vasconi

L’OMBRIÈRE DU VIEUX-PORT DE MARSEILLE
En trompe-l’œil

À l’occasion de la désignation de la ville de Marseille-Provence comme capitale européenne de la culture en 2013, l’architecte Norman Foster et le paysagiste Michel Desvigne réaménagent la vaste esplanade piétonne située sur le Vieux-Port de la ville en concevant une ombrière, sorte de préau miroitant. Si elle s’apparente à première vue à un grand abri où les passants peuvent prendre congé des puissants rayons du soleil typiques du sud de la France, elle se transforme en une pièce architecturale unique par sa composition en inox, réfléchissant ainsi lumières et ombres. Posée à 6 m au-dessus du sol et tournée vers ce dernier, l’ombrière crée ainsi un entre-deux inédit où la matière s’efface au profit de reflets panoramiques renversés où se côtoient ciel, mer et terre. Portée par huit fins poteaux d’acier, la structure métallique invisible est constituée d’acier galvanisé renforçant de telle sorte l’allure élancée de cet « objet culturel », pièce urbaine remarquable.

Photo : Edmund Sumner

LA FONDATION BEYELER À BÂLE
Filtrer la lumière naturelle

En 1997, Renzo Piano livre l’extension de la Fondation Beyeler
à Bâle. Un pavillon de plain-pied installé au cœur de Berower Park, dont l’enveloppe de verre permet la pénétration de
lumière naturelle tantôt vive, tantôt si douce. Les façades sont ainsi ouvertes sur leurs verts alentours où de vieux arbres plantés jouxtent étangs et champs de blé. Imaginé à partir d’une structure en pierre naturelle et acier, l’ouvrage a pour particularité d’être coiffé d’une toiture de verre et d’acier. Son rôle : filtrer la lumière grâce à un système de volets réglables. Le toit déborde largement le mur et offre ainsi une protection contre le soleil. Selon l’enseignante-chercheuse Céline Drozd, ce système présente de nombreux avantages : « Il assure l’équilibre entre performance énergétique, qualité d’ambiance et contrôle de la lumière directe sur les œuvres du musée, dont le quota lumineux est limité et à contrôler avec précision. »

Photo  : Richters, Christian/Renzo Piano Building Workshop Architects (RPBW Architects)
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