Édito

L’IMAGINAIRE À L’ŒUVRE

L’architecture sert à habiter. Nous habitons dans l‘imaginaire et le symbolique plus que dans le fonctionnel.

L‘ architecte reçoit une commande. La commande publique ou privée, d’une école, d’un théâtre, de logements, de bureaux… peu importe la fonction. Cette commande est définie par un programme fonctionnel et par des surfaces. La fonction est quantifiée par une liste de pièces, dont l’identité se résume à des mètres carrés et aux types de relation entre ces pièces. C’est cela que les commanditaires achètent. Chaque construction est un produit financier. Elle doit avoir sa rentabilité économique. Cette commande doit s’installer sur un terrain dans une ville, dans un pays qui ont leur histoire. Je suis architecte et scénographe. Je définis la scénographie par l’art de la narration. Ce principe narratif, je l’applique à chacun de mes projets. Mon style architectural n’est pas formel. Mon style est issu de ma méthode narrative.
Mon approche architecturale débute par une volonté́ de comprendre la vérité́ du lieu ou ce qui lui manque. Ce sont les guides de mon inspiration. Au démarrage, « rien n’a eu lieu que le lieu » (Stéphane Mallarmé). Je commence toujours en écrivant un texte qui ne décrit ni les formes ni les matières ni les couleurs du projet à venir. Ce texte définit ce que, ici, on va vivre d’unique. Il définit ce que chaque visiteur dans ce lieu partagera avec les autres, comment il amplifiera les relations entre tous les visiteurs, comment il parlera aux émotions de tous et de chacun. Ce texte sublime l’ensemble des données pour créer une architecture dont on n’a pas besoin mais envie. Par celui-ci, je définis non pas le flacon mais le parfum. Cette narration crée des mises en commun qui transcendent les éléments d’origine du projet : les lieux, les usages, la commande… pour les transformer en un projet culturel, c’est-à-dire en projet qui réunit les éléments séparés d’une circonstance. Une fois reliés, les éléments épars d’une circonstance bâtissent un assemblage unique.
Nous préservons les objets qui ont des récits, et ce, quel que soit leur état. Nous jetons les objets utilitaires dès qu’ils ne fonctionnent plus.
Je cherche à construire des « hyperlieux » qui créent des associations entre des usages différents comme un hypertexte permet d’établir des connexions directes entre des documents de natures différentes. Cette narration sublime le programme fonctionnel pour définir des fictions fondatrices, des récits collectifs. La mémoire des lieux est tissée de relations et de conflits, de convergences et de divergences, de mythes et de légendes, dont les effets ne s’ajoutent pas simplement les uns aux autres mais entretiennent des rapports de synergie. Cette narration, je la transmets aux utilisateurs futurs du projet. Ainsi, je ne conçois pas un bâtiment pour de quelconques utilisateurs mais je transmets des utilisateurs à un bâtiment. L ‘architecture leur survivra, me survivra et cette narration sera transmise. C’est en fait ce qu’il reste de l ‘expérience de la naissance du projet. C’est une méthode virale sur la longue durée. Les pensées globalisatrices ont apporté la mondialisation. Ce n’est qu’en étant totalement attentif au local, au particulier, au discernement du spécifique qu’on peut espérer toucher à l’universel.

Alain D. Moatti