Édito
L’ARCHITECTURE EST UN HUMANISME
La cause finale de l’architecture, ce sont les hommes et les femmes que l’on accueille dans l’espace que l’on a conçu pour eux. Ce qui fonde la permanence de l’architecture dans la vie des hommes, c’est la recherche des conditions du bien-être.
L’architecture permet aux personnes qui la pratiquent d’entrer en résonance avec tout ce qui les entoure, les choses et les gens : la lumière à chaque instant renouvelée, le bruit du vent, de la pluie ou de la foule, les matières, la pesanteur terrestre, le haut et le bas, la fraîcheur et la chaleur, la vue sur le lointain, un paysage, quelques arbres bruissants, les couleurs des saisons, avec la douceur d’un chant qui résonne entre les murs ou avec le regard de l’autre. L’architecture constitue pour chacun l’instrument rassurant de la communion avec le cosmos et avec les autres, qui lui permet d’inventer son avenir. Un instrument d’autant plus efficace qu’il plonge ses racines dans l’histoire.
Car tout espace pris en main par un projet d’architecture, qu’il soit naturel ou bâti, a toujours une histoire. Et notre travail n’a de pertinence que s’il enrichit le lieu, s’il y crée une valeur susceptible d’offrir plus de bien-être aux hommes qui l’habiteront.
Faire de l’histoire, c’est la destinée des acteurs de l’architecture. Ils ne peuvent y parvenir que dans la pleine conscience d’une double réalité : qu’il y a eu un « avant » et qu’il y aura un « après » : intervenir sur un site, un bâtiment donné, et reçu en pleine conscience, consiste à poursuivre la composition d’une symphonie à chaque fois achevée et en même temps en perpétuel devenir.
Cette dimension fonde l’exigence de l’ensemble de la démarche puisque notre intervention ne peut laisser les lieux indemnes. C’est en connaissant les lieux, et donc en les aimant que l’on peut intervenir. Il faut aimer les lieux que l’on va transformer pour pouvoir leur donner plus encore afin qu’ils accompagnent les humains dans l’écriture de leur propre histoire.
Mais la période que nous traversons, où règne l’incertain, s’accompagne d’une profonde complexité due au flux incessant d’informations en constante évolution qui afflue vers chacun. Face à cette profusion, se développe une attitude mortelle pour l’architecture, fondée sur la conviction que la maîtrise de la complexité, nécessaire pour composer l’espace, passe par la séparation des variables, la dislocation des données de chaque problème. Cette problématique de la dislocation de la complexité par la raison, qui serait un préalable au projet, est sans doute une des problématiques majeures auxquelles est confrontée l’architecture contemporaine. Elle s’applique aux méthodes même de conception des bâtiments soumises à des codifications confinant au simplisme tant dans les systèmes décisionnaires que dans les démarches d’invention.
Or, la déferlante du monde numérique, qui a pour conséquence le bouleversement du rapport physique et psychologique à l’espace, nécessite au contraire une approche particulièrement sensible de la conception des espaces pour le bien-être de l’homme. Le regard et l’ouïe de nos contemporains ne sont plus ceux d’il y a un siècle : la largeur et la profondeur du champ perçu se sont réduites, mais la perception visuelle des mouvements s’est accrue. L’ouïe, quant à elle, est moins apte à percevoir, par exemple, la qualité d’un silence. D’où, pour l’architecture d’un lieu, l’importance croissante des cadrages, des plans successifs, visuels et sonores, accentués, la superposition des séquences dans le mouvement.
Cette prise en compte du rapport de chacun au cosmos et aux autres est bien ce qui fonde le travail d’architecture. Il s’agit d’accompagner chacun pour qu’il puisse continuer la recherche de ce qui le comblera et qu’il appelle « être heureux ».
Ainsi, le travail d’architecture ne consiste pas à avoir de bonnes idées, mais à poser les bonnes questions, à écouter les réponses, et à composer un espace « juste », c’est-à-dire ajusté à ceux auxquels il est destiné. La subjectivité de l’architecte n’a pas grande importance au regard de l’histoire à laquelle il contribue, et par rapport aux enjeux, en chaque époque, de cristallisation d’une civilisation.
Jean-Marie Duthilleul

