GRAND CENTRAL À PARIS-SAINT-LAZARE
Rénovation tertiaire… impressionniste
Porte-voix de l’architecture sensible, Jacques Ferrier et Pauline Marchetti livrent une vaste opération de bureaux en rénovation adossée à la gare Saint-Lazare. Entre restructuration d’immeubles 21e siècle côtés rues et démolition/reconstruction en coeur d’îlot, Grand Central et ses 26 500 m2 de planchers s’insinue sensuellement dans un tissu urbain des plus denses de la capitale
UNE GARE DE COEUR… DE VILLE
Première gare édifiée en Île-de-France dès 1837, l’édifice actuel a été inauguré par trois empereurs (Napoléon III, François-Joseph 1er et Alexandre II) à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 commémorant le centenaire de la Révolution française. Avec 1 600 trains journaliers desservant la banlieue ouest et cent autres à destination de la Normandie, Saint-Lazare — bien que dépourvue de lignes internationales — est la deuxième gare européenne par son trafic (plus de 110 millions de voyageurs). Elle est aussi la seule implantée près du coeur historique de la capitale, dans le 8e arrondissement.
La proximité de la Nouvelle Athènes — quartier du début du 19e où les artistes élurent domicile — va lui valoir de devenir un sujet pour les peintres, et non des moindres : elle se profile en fond de décor du tableau Le chemin de fer (1874) d’Édouard Manet et inspire une série de douze toiles intitulées La gare Saint-Lazare (1877) au père de l’impressionnisme, Claude Monet !
Près des beaux quartiers et des grands magasins haussmanniens où subsistent encore, à ses alentours, rue de Londres, quelques très beaux hôtels particuliers des 18e et 19e siècles, nombre d’entreprises — y compris étrangères, tel Google — y ont établi leurs sièges, succursales ou bureaux. Autour de ce hub ferroviaire, le quartier d’affaires redéploie ses atours au travers d’opérations de rénovation tertiaire haut de gamme, désormais prisées par les entreprises de la nouvelle économie délaissant tours et banlieues.
COMPLEXITÉ URBAINE ET CONSTRUCTIVE
Si la gare historique s’est vue restructurée — durant ces deux dernières décennies — avec l’arrivée de la ligne 14 du métro et la refonte commerciale de sa salle des pas perdus, ses « dépendances » longeant les rues de Londres et d’Amsterdam étaient devenues obsolètes. Ayant hébergé les douanes ferroviaires, les immeubles post-haussmanniens en pierre de taille de la première devaient se réinventer pour de nouveaux usages, tandis que le bâtiment édifié en quatre phases entre 1947 et 1974 — en retrait de l’angle de la seconde et à l’aplomb du quai 27 de la gare — était non seulement devenu inadapté à des bureaux, mais aussi totalement dépourvu d’intérêt architectural. En fait, l’accès aux trois niveaux de sous-sol à vocation logistique avait transformé la cour intérieure en une sorte de grand « trou noir » urbain.
En 2012, la SNCF lance un appel d’offres afin de réinventer ce vaste complexe tertiaire au sein d’un quartier redevenu stratégique. The Carlyle Group remporte la mise avec le projet architectural conçu par Jacques Ferrier et Pauline Marchetti. Ceux-ci préconisent de restructurer les immeubles 19e — dont certains ne conserveront que leurs façades en pierre de taille (sur rue) ou en briques (sur cours) — et de démolir et reconstruire l’hybride Amsterdam — ramené à sept étages — tout en créant un véritable espace urbain semi-public en lieu et place du « trou noir ». Il s’ensuivra quatre années d’études afin de faire émerger un projet consensuel dont le dépôt de permis de construire ne fera l’objet d’aucun recours.
UN PROJET « CONSENSUEL »
En effet, il importait certes d’offrir au(x) futur(s) locataire(s) des espaces de bureaux et aménités adaptés aux besoins évolutifs du 21e siècle, mais aussi d’instaurer un nouveau dialogue avec l’environnement humain, urbain et naturel… Bref, de révéler le génie du lieu, d’entrer en résonance avec l’esprit du quartier, d’engendrer une continuité authentique entre le passé et le présent pour mieux préparer l’avenir.
Dans le grand vaisseau central dressé à 31 m, la structure acier (sur une trame de 5,40 m) avec planchers collaborants en acier et béton (de 75 cm d‘épaisseur) permit, à la fois, d’optimiser la hauteur sous plafond (2,70 m) tout en libérant de vastes plateaux de 13 m de largeur avec très peu de points porteurs autorisant également des façades vitrées toute hauteur. Le recours à une charpente métallique facilitait une mise en oeuvre dans un chantier difficile d’accès, mais faisait écho à celle bien plus spectaculaire de la halle de la gare. D’ailleurs, la verrière contemporaine du bar s’étant substituée à une cour attenante au hall d’accueil principal y fait un beau clin d’oeil, d’autant que le restaurant d’entreprise qu’il dessert donne directement sous la canopée ferroviaire. La modénature de la façade surplombant cette dernière emprunte sa cadence à celle des armatures des grandes verrières qui couvrent les quais.
La double peau qui encadre sur plus de 100 m la généreuse place urbaine communiquant avec la rue d’Amsterdam est un subtil hommage à l’art impressionniste de Claude Monet. Un ensemble de 1 700 ailettes de verre — incorporant un film décliné en 18 teintes, du bleu à l’orange, pixellisent un détail de l’un des tableaux de la tour de Londres de l’illustre peintre. Celles-ci se déportent inégalement à l’avant des baies (de 45 à 120 cm), tandis que leur inclinaison varie de 15 à 54° selon leur altimétrie. L’effet cinétique est d’autant plus saisissant que le dévers des poteaux devançant les commerces-galeries du socle y crée un péristyle accentuant la perception de l’onde cristalline colorée.
Impressionnant !
Maître d’ouvrage : The Carlyle Group
Investisseur : Union Investment
Architecte : Ferrier Marchetti Studio
Maîtrise d’oeuvre : Artelia
BET : Terrell Group + C&E Ingénierie (structure), Arcora (façade)
Photos : Luc Boegly
