FLAGSHIP ENFANTS RICHES DÉPRIMÉS, RUE CHARLOT, PARIS

Un showroom heavy metal

Ce n’est pas tous les jours qu’un artiste styliste revendique une couture élitiste… nihiliste ! Créateur de la marque californienne Enfants Riches Déprimés (ERD), le jeune Henri Alexander Levy a choisi Paris pour ouvrir son unique magasin dont il a confié la conception à l’architecte artiste Didier Fiúza Faustino. Derrière sa devanture originelle, l’ancienne échoppe de la rue Charlot, d’à peine 45 m2, recèle un écrin radical tout d’inox et de marbre aux allures de coffre-fort !

La boutique brouille les codes pour offrir un espace froid, sans affect.
S’inspirant du bunker, elle associe marbre et acier.
Doc. : Mésarchitecture

FILS DE…

Fils d’un millionnaire géorgien, Henri Alexander Levy naît à Atlanta le 14 juillet 1991, il porte un premier prénom français. Enfant gâté, délaissé, bercé par Nirvana, l’adolescent alterne écoles privées et centres de désintoxication où échoue une partie de la jeunesse dorée américaine. Ayant finalement entrepris des études artistiques à l’Ucla, il commence par œuvrer dans l’art contemporain tout en fréquentant les univers de la musique et de la mode. Il « customise » quelques T-shirts à partir de ses dessins et/ou de messages ironiques d’esprit punk/grunge. Ayant remarqué son travail, Kanye West le recrute comme directeur artistique de sa propre marque. En 2012, il créé, à Los Angeles, son label qu’il baptise d’un nom français, Enfants Riches Déprimés correspondant à son cœur de cible dont il partage les origines et le parcours, prêt à dépenser des fortunes pour des pièces basiques devenues uniques une fois « bousillées » par ce jeune affairiste nihiliste. Très vite, ces « œuvres d’art portables » exclusives séduisent à leur tour les Guns and Roses, Justin Bieber, la veuve de Kurt Cobain ou encore le rappeur coréen G-Dragon. Cela lui vaut d’intégrer les rayons des créateurs émergents d’une douzaine de department-stores internationaux.

DE L’ÉCHOPPE AU FLAGSHIP

L’envie d’ouvrir à Paris, capitale mondiale de la mode, sa première boutique fait son chemin. Ayant, entretemps, acquis en galerie une œuvre de Didier Fiúza Faustino, il demande à le rencontrer. Ils vont ainsi se retrouver à plusieurs reprises deux années durant, apprendre à se connaître et lier une amitié créative. C’est donc en toute logique que le styliste arty sollicite son nouvel ami pour imaginer sa future adresse parisienne. Entre pop-up d’une marque alternative de niche et lieu d’exposition de pièces uniques à forte valeur ajoutée, le choix d’un petit lieu symbolique s’impose aux deux créateurs dans une démarche paradoxalement situationniste.
En effet, l’internationale situationniste aspirait à en finir avec la société de classe et « la dictature de la marchandise » ! Enfants Riches Déprimés s’installe donc dans le haut Marais, dans une ancienne échoppe d’artisan bijoutier sise au 79 rue Charlot, dont les compères décident de garder la devanture très parisienne. L’espace de 45 m2 se développe sur deux niveaux, le sous-sol ayant abrité l’atelier de bijouterie.

Le challenge était, tout à la fois, de le rendre le plus grand possible tout en le rendant exclusif, les clients devant y être reçus quasiment individuellement après avoir sonné à la porte sur rue commandée. Jouant sur l’ambivalence et le contraste, le concept proposé par l’architecte va à l’encontre de la boutique-vitrine de mode aux linéaires présentant un maximum de produits. Ici, aucun vêtement ni accessoire en vitrine puisque Didier Fiúza Faustino a évidé le plancher du rez-de-chaussée au droit de cette dernière et d’une superficie égale à celle du vitrage sur rue. Cette trémie a pour fonction d’offrir un puits de lumière naturelle au sous-sol – jusque-là aveugle – et un aperçu plongeant sur sa moquette vert mousse. Elle met aussi à distance le reste du rez-de-rue, traité à la façon d’une mezzanine du sous-sol, juste accessible depuis une sorte de passerelle et dépourvue de banque d’accueil. Sous des allures davantage muséales, quelques rares pièces s’y exposent dans des niches comme creusées dans le parement d’acier inoxydable et de marbre gris veiné tapissant tout le volume du sol au plafond et se réfléchissant mutuellement, à commencer par le cylindre de la cage d’escalier. Ce monolithe minéral volontairement froid, pour ne pas dire glacial, oscille entre l’écrin radical et le coffre-fort protecteur, le sous-sol faisant alors office de salle des coffres. Mais avec son plafond en daim anthracite matelassé, sa moquette vert artificiel et son tout aussi mousseux canapé « ABCD » de Pierre Paulin, celle-ci se veut d’abord un salon d’essayage très particulier où endosser les rares pièces suspendues à des tringles en lévitation ou chaussures et accessoires « nichés » ici et là – incarnant un luxe hype(r) trash. « La boutique ERD est une zone grise fermée, un boudoir géométrique et un limbe chirurgical, commente ainsi Didier Fiúza Faustino. L’espace a été façonné comme une scène construite en métal et en pierre pour enfermer l’expérience du désir. »

  • Maître d’ouvrage : Enfants Riches Déprimés
  • Architecte : Didier Fiúza Faustino (Mésarchitecture)
  • Photos : David Boureau
Des impacts sculptés dans les parois d’inox ménagent des alcôves de marbre gris.
« La boutique : une zone grise contenue, un boudoir géométrique, des limbes chirurgicales…
… l’espace a été conçu comme une scène faite de métal et de pierre pour enfermer l’expérience du désir. » Didier Faustino
Quelques rares pièces sont exposées dans des niches comme creusées dans le parement d’acier inoxydable.
L’escalier s’enroule autour d’un monolithe minéral jusqu’à un espace horizontal percé d’une trémie où apparaît le ciel en contre-plongée.
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