Dominique Perrault s’est fait connaître du monde entier alors que lui est confié le chantier de la Bibliothèque nationale de France, à seulement 36 ans. Trente ans plus tard, il multiplie les projets, notamment quelques interventions sur l’existant ces dernières années, tandis que son œuvre commence elle-même à faire partie du patrimoine.

Vous travaillez en ce moment à la rénovation de 57 Métal de Claude Vasconi, à Boulogne-Billancourt. Comment ce bâtiment promis un temps à la destruction a-t-il pu finalement être préservé ?

La sauvegarde de ce bâtiment a été le fruit d’une importante mobilisation et d’un engagement de la municipalité. L’enjeu de sa transformation a été à la fois celui de la conservation de son architecture et celui de son adaptation à de nouveaux usages, pour lui donner une nouvelle vie : l’accueil du futur siège de BNP Paribas Real Estate.
L’ouvrage de Claude Vasconi, conçu à l’origine pour les ateliers de l’usine Renault et livré en 1984, était un bâtiment industriel exemplaire, et la pièce fondatrice du projet d’urbanisme, Billancourt 2000, interrompu en 1985. Son architecture a constitué le point de départ du projet, un vrai champ de ressources. La succession des sheds en toiture conférait au volume une présence architecturale le long des berges de Seine. Sa toiture est un réel élément de paysage, l’image d’un bâtiment expressionniste et très urbain. Emblématique du design de Vasconi comme de tous les bâtiments industriels du 20e siècle, la skyline des sheds constituait la « substance patrimoniale » du bâtiment, tout comme sa façade plissée en métal qui accompagne le bord de l’eau et descend comme une robe jusqu’au sol. Il fallait trouver le juste dosage entre le nécessaire maintien de cette substance patrimoniale et ce qui pouvait être manipulé et adapté, sans perdre l’identité architecturale du bâtiment.

Votre projet s’intitule Métal 57, comme pour insister sur la filiation avec le bâtiment initial. Quel a été votre parti pris architectural ?

Notre approche a favorisé une stratégie de principe : même s’ils ne sont pas conservés dans leur intégralité, la perception des sheds devait être maintenue, leur rythmique formant la silhouette emblématique du bâtiment d’origine. Ils sont donc conservés le long de la Seine et du côté de l’ouvrage de Norman Foster. Formant un volume en angle, ils permettent de prendre la mesure du bâtiment industriel, et de conserver intacte la silhouette du volume depuis les quais. La sauvegarde de l’édifice industriel nécessitait cependant de construire des mètres carrés nouveaux pour pouvoir disposer des moyens de le restructurer, de le dépolluer, de le mettre aux normes et d’accueillir de nouveaux usages. Il était impossible de faire entrer le programme envisagé dans l’enveloppe existante, il a donc fallu faire des choix pour définir les parties que l’on souhaitait conserver ou modifier. Le volume des sheds, comme celui des contreforts, vient encadrer une extension contemporaine haute de huit étages : un prisme largement vitré, creusé de deux patios.
L’émergence de ce nouvel élément, implanté comme un pivot, marque la tertiarisation du projet et constitue la nouvelle porte d’entrée du bâtiment vers le parc du Trapèze. Par contraste, il révèle aussi la silhouette du volume historique. Métal 57 résulte ainsi du dialogue entre deux architectures, deux époques et deux géométries qui affirment leur propre logique, tout en fonctionnant l’une par rapport à l’autre.

Qu’en est-il du travail sur les matériaux ?

La valorisation du patrimoine industriel a aussi nécessité une réflexion sur le choix des matériaux, le métal étant la marque du lieu. Le travail sur la peau du bâtiment cherche à conserver la référence industrielle de celui-ci. La façade opaque de Vasconi est réinventée dans une version perforée laissant passer la lumière, permettant d’avoir des vues de l’intérieur vers l’extérieur et d’amplifier la présence du bâtiment de nuit.
À l’intérieur, les matériaux récupérés lors de la démolition de l’ancien bâtiment seront réutilisés, et le bois se mêlera à la brique. Pour ce qui est de l’extension, sa façade en inox satiné avec un rythme évoquant, par des lignes très marquées, un assemblage de grandes « briques de verre » poursuit cette esthétique industrielle.

Plus largement, et, peut-être même, pour ce qui concerne vos propres bâtiments, à partir de quand, selon vous, une architecture commence-t-elle à « faire partie du patrimoine » ? Est-ce le cas de la Bibliothèque nationale de France par exemple ?

Aujourd’hui, la BNF constitue certainement un patrimoine architectural. C’est un monument pour la ville de Paris, pour l’architecture française, en ce qu’elle représente un moment de l’architecture, une inscription dans une histoire, le symbole d’un contexte, d’une géographie urbaine. Nous célébrons, cette année, les 30 ans du concours qui m’a donné la chance de réaliser cet édifice qui est certainement devenu un bâtiment marqueur dans l’histoire de l’architecture du point de vue de la construction des bibliothèques. Mais la BNF est, avant tout, un patrimoine vivant qui a, finalement, pris toute sa place dans un nouveau quartier et qui en est un espace public majeur.
La Cour de justice de l’Union européenne est peut-être
l’autre projet auquel j’attribuerais cette valeur patri­moniale. Ce bâtiment complexe, étendu à cinq reprises, est un des témoins de la construction
de l’Europe. Édifié et élargi en parallèle à l’extension de l’Union européenne, ce bâtiment unique en son genre, à forte charge symbolique, est véritablement l’expression d’un patrimoine vivant, qui n’a cessé de se réinventer.

Lorsque vous construisez à côté, par-dessus et, surtout, en dessous du patrimoine existant, comment faire le lien avec l’architecture contemporaine ?

Le travail du sous-sol représente selon moi une approche possible permettant de combiner respect et mise en valeur d’un site ou d’un bâtiment. Le choix d’une architecture souterraine permet souvent de préserver les lieux.
Pour le pavillon Dufour au château de Versailles par exemple, nous avons développé un travail tout en douceur et discrétion, par une intervention du « dessous ». C’est un travail de topographie, qui s’appuie sur ce qui existe, qui incruste et relie. Le château gagne des espaces en rez-de-chaussée et des volumes au rez-de-jardin par une insertion des nouvelles surfaces sous les bâtiments et sous la cour des Princes. Cette intervention « sous-cutanée », d’apparence simple, peu visible, mais très contemporaine, apporte une réponse fonctionnelle et durable, sans modifier la composition générale ni la modénature du bâtiment. Un grand escalier de marbre introduit le visiteur dans le dessous et fait le lien entre le dedans et le dehors, entre le château et ses jardins. Un prisme de verre guide la lumière naturelle jusqu’au sous-sol et offre un point de vue nouveau sur les façades de la vieille aile.

Quelles sont les autres possibilités d’intervention sur une architecture existante ?

Dans un tout autre registre, l’intervention sur l’existant peut aussi procéder par restructuration de l’enveloppe du bâtiment, pour lui apporter une nouvelle identité tout en respectant son volume initial, comme nous l’avons fait dans la restructuration des tours du pont de Sèvres par exemple. J’aime cette idée que l’architecture puisse intervenir sur le passé tout en anticipant les évolutions du futur, que l’on puisse faire muter les bâtiments et les transformer sans qu’ils perdent rien de ce qu’ils étaient.
Mais il n’y a pas de règle systématique. Chaque projet, chaque contexte est unique et constitue la base d’une réponse que je souhaite le plus juste possible. Une intervention peut être considérée comme aboutie lorsque le projet réussit à assembler de nouveaux usages.
Pour la restructuration de la poste du Louvre à Paris, réintroduire le bâtiment dans la vie urbaine du quartier, par une nouvelle organisation et l’introduction de nouveaux programmes, tels que des logements sociaux, des bureaux, des commerces et un hôtel, participe de cette démarche. La préservation de la magnifique architecture de Julien Guadet, de sa façade de pierres, la mise en valeur des charpentes métalliques, la mise à jour des grandes hauteurs, tout le travail développé avec Jean-François Lagneau, Architecte en chef des Monuments historiques, est, bien sûr, essentiel.
Mais l’objectif est de transformer cet îlot monolithique en un bloc urbain poreux grâce à un réseau de porches, d’arcades et de passages. Le bâtiment va trouver une nouvelle vie, il va intégrer les fonctions d’hôtel, de bureaux, de commerces, de logements. L’usage est, à mon avis, indissociable de la préservation. Il s’agit, en quelque sorte, de proposer au bâtiment une « réalité augmentée », en termes d’usage et d’identité. Le patrimoine doit être habité et vivre dans sa dimension sociale, sinon, il dépérit, et c’est la mission de l’architecte d’adapter l’existant à l’incontournable évolution de notre époque : vivre et travailler mieux dans un environnement meilleur.

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